18 avril 2020

Pour mémoire

J'ai mis plus de deux mois à lire cette petite plaquette écrite à quatre mains par Dominique Fortier et Rafaële Germain.  C'est en effet le genre de livres qu'on ne lit pas d'une traite mais qui se déguste quelques pages à la fois.  Les deux écrivaines y ont fait le pari qu'en notant chaque jour ces petits moments qui font le sel de la vie  (beaux paysages, mots d'enfant, coquillages, oiseaux...), elles pourront les conserver pour toujours, pour mémoire...

J'aime depuis la première phrase de son premier roman la plume de Dominique Fortier: elle sait allier la beauté, la poésie, à un souci du détail minutieux, voire presque scientifique.

J'étais moins sûre de celle de Rafaële Germain.  J'aime l'écouter parler de littérature dans les émissions de télé ou de radio auxquelles elle participe et j'avais apprécié son humour dans le seul roman que j'ai lu d'elle, Soutien-gorge rose et veston noir, mais j'avais trouvé son style un peu trop télévisuel, si je puis dire, et très américanisé.

Or ici elle a su monter de plusieurs crans son niveau de langage pour se mettre au diapason de sa comparse.  C'est pourquoi je la soupçonne même d'avoir volontairement abaissé ce niveau dans son roman, pour correspondre à celui qui est attendu dans la chick-lit!  Mais pourquoi?  Pourquoi ne pourrait-on pas utiliser nos neurones en même temps que notre fibre romantique?  Je voudrais donc la mettre au défi de nous pondre une chick-lit dont l'héroïne lirait Proust et Tolstoï et ne s'exprimerait pas comme un personnage de sitcom américaine.

Mais revenons à nos moutons.  Je pense qu'en cette époque de confinement, ce bouquin pourrait permettre à plus d'un lecteur des moments d'évasion bien appréciés puisque, le temps de deux saisons, l'on y fait des allers-retours entre la campagne et la mer.  Quand vous le lirez, vous éprouverez sans doute vous aussi des instants d'émotion ou d'amusement.  Ce ne sera probablement pas les mêmes passages qui vous toucheront, ni pour les mêmes raisons, mais vous serez touchés, votre mémoire sera stimulée, et c'est ce qui compte.


Pour mémoire de Dominique Fortier et Rafaële Germain, 2019, 173 p.

07 avril 2020

The Night Circus (Le Cirque des rêves)

Il y avait dans un forum que j'ai beaucoup fréquenté (et qui malheureusement est en train de mourir de sa belle mort, c'est triste mais c'est une autre histoire) un participant qui qualifiait de «romans d'atmosphère» tous les livres où la création d'une ambiance était plus importante que l'action, dont l'intrigue était reléguée au second plan derrière la beauté de la plume, sa poésie, les sentiments et images qu'elle suscite chez le lecteur.

Rarement un roman aura mieux mérité cette appellation de «roman d'atmosphère» que celui-ci.  En effet, à part quelques soubresauts par-ci par-là et la montée d'une certaine tension vers la fin, il ne se passe pas grand-chose dans ce Cirque des rêves.  Mais la plume d'Erin Morgenstern a une telle force d'évocation qu'on ne s'ennuie jamais.  On peut peut-être déplorer un petit effet répétitif au milieu quand les deux protagonistes créent de nouvelles attractions magiques pour le cirque, mais il suffit de se laisser transporter dans ce monde de beauté et de merveilles où tous nos sens sont mis à contribution.

L'histoire?  Elle est très intéressante même si elle se déroule lentement.  Il s'agit d'un concours entre deux magiciens, le cirque étant l'arène où se déroule le combat dont ils sont les adversaires involontaires et dont ils ne connaissent ni les règles ni l'enjeu.  On est fin XIXe siècle/début XXe et on se balade au gré des représentations du cirque entre Londres, l'Amérique (Boston, New York...) et différents pays d'Europe.

La construction du récit est originale mais demande un certain effort de la part du lecteur, puisqu'on se promène non seulement d'un endroit à l'autre mais aussi d'une année à l'autre dans un mouvement de va-et-vient rappelant le pendule de Herr Thiessen, le sympathique horloger dont la plus fabuleuse création orne l'entrée du cirque.  Heureusement, à chaque en-tête de chapitre, on nous précise le lieu et la date; il est donc facile de retourner en arrière pour remettre les événements en ordre dans notre cerveau. (Je ne sais pas pour vous mais chez moi la concentration n'est pas au maximum en ces temps de pandémie...)

Cirque?  Si vous êtes comme moi, vous entendez ce mot et aussitôt vous pensez à des clowns ridicules, des nains, des femmes à barbe et autres créatures difformes, et vous vous dépêchez d'aller voir ailleurs si vous y êtes.  Mais ce n'est pas du tout à ce genre d'entreprise qu'on a affaire ici, plutôt à un Cirque du Soleil version noir-blanc-argenté, où la Lune remplace le Soleil puisque les spectacles ont lieu du crépuscule à l'aube dans une ambiance presque gothique, et où la magie existe vraiment pour le plus grand plaisir des spectateurs, quoique à leur insu.

Vraiment une très belle découverte, qui m'a un peu rappelé Jonathan Strange & Mr Norrell de Susanna Clarke.  Ce n'est pas le même genre d'histoire mais l'ambiance, le rythme et le style d'écriture sont assez similaires.  En plus, les deux ont un corbeau sur la couverture!


The Night Circus d'Erin Morgenstern, 2011, 496 p.  Titre de la traduction française: Le Cirque des rêves.