24 mai 2013

La Montagne magique

Ouf, quelle brique!  Si vous vous demandiez la raison du ralentissement d'activité sur ce blogue (déjà pas le plus actif de la blogosphère, j'en suis consciente), c'est parce que j'étais plongée dans cet énorme roman, très intéressant mais très dense. 

C'est l'histoire d'un jeune Allemand qui va rendre visite à son cousin dans un sanatorium alpestre quelques années avant la Première Guerre mondiale.  Cet endroit semble exercer un étrange pouvoir sur ses habitants, tant par la beauté de ses paysages que par son confort et par l'ambiance qui y règne, et ce qui devait être une courte visite de trois semaines se prolongera beaucoup plus longtemps...

Débarrassons-nous d'abord de mon seul bémol. Il y a deux personnages secondaires qui ont entre eux et avec notre héros des discussions inteeeerrminables sur des sujets hautement intellectuels et théoriques comme le Progrès, l'Humanisme, l'Anarchie, la Religion, etc. Avec beaucoup de majuscules. J'avoue que vers la fin je les lisais presque en diagonale, sans trop essayer de retenir quoi que ce soit.  Ces scènes ont leur importance car elles font évoluer le jeune homme, mais elles auraient eu avantage à être un peu plus courtes et surtout moins abstraites. C'est là je trouve le seul point qui fait que ce roman a peut-être mal vieilli, et pour ma part c'est ce qui l'a empêché de se voir décerner le titre de «coup de coeur».

En effet, si l'on oublie ces passages, j'ai vraiment tout aimé: les personnages, certains loufoques, d'autres au destin dramatique, l'atmosphère merveilleusement bien décrite du sanatorium et de la montagne elle-même, montagne où dirait-on les lois de la physique ne sont pas les même qu'ailleurs, où l'air est différent, où le temps, surtout, ne s'écoule pas comme ailleurs, comme «en bas, dans le pays plat»...

J'ai beaucoup apprécié le style d'écriture de Thomas Mann (et chapeau au traducteur Maurice Betz). Il pratique de main de maître l'art de l'euphémisme («s'insérer un corps étranger» au lieu de «se tirer une balle dans la tête»!) et possède un vocabulaire d'une précision inouïe. Pourquoi ne s'exprime-t-on plus ainsi? Il m'a donné le goût de réhabiliter certaines expressions et j'ai fait hausser quelques sourcils au bureau avec un «de guingois» du meilleur effet.

Il fait montre également d'un humour assez particulier, sachant nous surprendre au détour d'un paragraphe plus sérieux. Par exemple, lorsqu'un patient se plaint d'être obsédé par une femme qui l'ignore (femme dont notre héros est également amoureux), en route pour aller chercher un autre voyageur dans la carriole qui les mène en excursion:

 «Mais l’affaire la plus haute, la plus importante et la plus effroyablement secrète de notre chair et de notre âme, vous le voyez, c’est en même temps la chose la plus populaire, tout le monde s’y entend et peut se moquer de celui que cela tient et pour qui le jour est une torture de volupté, la nuit un enfer de honte. Castorp, mon cher Castorp, laissez-moi gémir un peu, car songez un peu à mes nuits ! Chaque nuit je rêve d’elle, hélas, que ne rêvé-je pas, la gorge et le creux de l’estomac m’en brûlent lorsque j’y pense. Et cela finit toujours par des gifles, elle me donne des gifles ou me crache en pleine figure, le visage de son âme convulsé par le dégoût, elle crache sur moi et à ce moment je m’éveille, baigné de sueur, de honte et de plaisir…
– Allons, Wehsal, vous allez tâcher de vous taire, à présent, et de tenir votre langue jusqu’à ce que nous soyons arrivés chez l’épicier et que quelqu’un monte avec nous. Voilà ce que je propose et voilà ce que je vous ordonne. Je ne veux pas vous blesser et je vous accorde que vous êtes dans de vilains draps, mais on raconte dans notre pays l’histoire d’un quidam qui fut puni de la manière suivante : en parlant il lui sortait des serpents et des crapauds de la bouche, à chaque mot un serpent ou un crapaud. L’histoire ne dit pas comment il s’est tiré d’embarras, mais j’ai toujours supposé qu’il avait dû finir par la fermer

J'ai aussi retrouvé certains détails oubliés, comme le geste de découper les feuillets d'un livre -- mon grand-père encore possédait de ces vieilles éditions: «Durant des heures Joachim entendait dans la loge de son cousin le bruit du coupe-papier qui sépare les feuillets brochés.» Il est fascinant de voir que certaines choses sont restées les mêmes après plus de cent ans (les chocolats Lindt!) alors que d'autres notions nous semblent maintenant ridicules: ainsi, notre jeune Hans consulte un manuel d'anthropologie où il apprend que les hommes des cavernes possédaient un troisième oeil en haut du front!

En gros, un vrai délice, si l'on se permet de survoler, comme je vous le recommande, les passages qui nous intéressent moins!


La Montagne magique de Thomas Mann, traduit de l'allemand, 1924, 915 p.  Titre de la version originale: Der Zauberger. (La couverture illustrée ne correspond pas à l'édition que j'ai lue.)

15 mai 2013

Du nouveau dans la PAL...

 Acheté avec une carte-cadeau gagnée lors d'un party de bureau...  Histoire de tenir un tant soit peu ma résolution du premier de l'an de continuer les nombreuses séries commencées! (C'est la suite de ceci.) Vous me direz que ce n'est pas tout de l'ajouter à la PAL, encore faut-il le lire avant la fin de l'année!








Reçu des Presses de l'Université du Québec, par l'entremise de Babelio (Opération masse critique - Québec).  Je l'ai feuilleté, les illustrations sont magnifiques, et c'est beaucoup plus volumineux que ce à quoi je m'attendais... En théorie, je suis supposée le lire d'ici un mois pour publier un compte rendu sur le site de Babelio; mais j'ai aussi le Blogoclub du 1er juin (Atonement de Ian McEwan, une bonne brique) ainsi qu'une autre lecture commune (The Uncommon Reader d'Alan Bennett).  Sans compter qu'il me reste une bonne centaine de pages de La Montagne magique, qui avance lentement!  Ça me prendrait quatre yeux et deux cerveaux!

03 mai 2013

Cocorico!

Aperçu par hasard dans le catalogue numérique de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, le sujet de ce petit essai destiné aux pré-ados m'a semblé amusant et je l'ai téléchargé afin d'avoir une lecture légère à me mettre sous la dent entre deux chapitres de La Montagne magique de Thomas Mann, qui, avouons-le, bien que passionnant, peut être un peu indigeste si ingéré en trop grande quantité. Surtout les parties où les personnages discutent pendant vingt pages d'affilée de sujets tels que le Progrès, la Démocratie, la Religion, etc.

Sauf que là je vais devoir trouver autre chose car ce petit livre qui se veut un survol de sujets reliés aux langues et à la linguistique se lit en moins d'une heure!  Il y a en effet beaucoup d'illustrations et le texte est présenté de façon très aérée pour plaire à un jeune public. Pour un adulte, disons que c'est un peu mince et qu'on aurait pris un peu plus de viande, mais ça reste rigolo et on y apprend quand même pas mal de choses intéressantes.

Toutefois, je me vois dans l'obligation, pour une fois, de vous déconseiller la version numérique car elle comporte plusieurs défauts. À plusieurs endroits, à cause sans doute de la mise en page dynamique et colorée, le numérisateur a oublié quelques lettres en bouts de ligne, pas assez pour rendre le texte incompréhensible mais assez pour être agaçant. Et surtout, de nombreux caractères spéciaux n'ont pas été reconnus et sont remplacés par des points d'interrogation, ce qui enlève toute pertinence au chapitre qui traite des alphabets étrangers! (À moins bien sûr que je ne soit tombée sur un exemplaire défectueux, ce que je ne peux exclure.) Enfin les images, très originales, perdent beaucoup d'impact en petit format et en noir et blanc. Là par contre on peut y remédier en lisant plutôt sur une tablette ou sur l'ordinateur. (Est-ce que des liseuses plus modernes que ma Sony PRS-350 antédiluvienne* ont des écrans couleur?).

Extrait:
«Les oiseaux font pour leur part tweet tweet en anglais, kumu kumu en cingalais, pio pio en espagnol et koo koo en tamoul. À bien y penser, cela peut se comprendre : peut- être s’agit-il d’espèces différentes. Mais comment expliquer alors que les canards font quak quak en allemand, paa paa en bulgare, kwek kwek en indonésien et cap cap en vietnamien ? Vous me direz qu’il y a aussi plusieurs sortes de canards… D’accord, mais pourquoi alors les canons font- ils boum en français, bang en anglais, pum en espagnol, kaboom en grec, dor en indonésien et dishum en tamoul ? Les canons tamouls auraient-ils attrapé le rhume ?

    Puisque nous parlons de rhume, saviez-vous que les Japonais ne font pas
atchoum quand ils éternuent, mais hakushon, et que leur cœur ne fait pas boum boum, mais doki doki ? Si mon cœur commençait à émettre un bruit semblable, je courrais vite voir mon médecin ! On dirait un cœur de robot!»

* Les années électroniques, c'est un peu comme les années de chien, tout le monde sait ça!


Cocorico! de François Gravel, 2013, 87 pages.