28 février 2010

Saga

***Attention, ce billet contient des spoilers!***

Première surprise, Tonino Benacquista n'est pas italien comme je le croyais. Issu d'une famille originaire du centre de l'Italie, il est né en France et écrit en Français. Ce qu'il fait fort bien, d'ailleurs.

L'idée de départ de ce roman est vraiment excellente. Quatre créateurs très différents les uns des autres sont engagés par un producteur cynique pour écrire une série télé. Le but: permettre à la station d'atteindre les quotas de contenu français. La seule contrainte: que ça ne coûte à peu près rien; donc décors restreints, aucuns extérieurs, peu de personnages. Pour le reste, les scénaristes ont carte blanche, ils peuvent laisser courir leur imagination.

Le résultat, on s'en doute, est complètement débridé, voire surréaliste. Cela me fait un peu penser à la série américaine des années 70 Soap, une parodie des soap operas absolument déjantée, où l'on sentait que les créateurs avaient eu une grande liberté, ce qui leur a permis de briser plusieurs tabous comme l'homosexualité et le mariage interracial. Je me souviens notamment d'une scène hilarante où le personnage de Billy Crystal (rôle qui l'a d'ailleurs fait connaître) tente d'expliquer l'homosexualité à sa tante (gentille mais pas très futée):
- Tu sais, plusieurs personnes célèbres étaient gays, par exemple Platon (se dit Plato en anglais).
- Quoi?! Le chien de Mickey Mouse était gay?

Mais si l'on suit avec intérêt le développement de la série, c'est surtout les dialogues entre les scénaristes qui fait le succès de ce roman. Il sont en effet très drôles et pertinents, et agrémentés de nombreux clins d'oeil à la télévision et au cinéma.

Dans la deuxième moitié, les quatre personnages deviennent eux-mêmes des héros de téléroman, en quelque sorte, puisqu'il leur arrive toutes sortes d'aventures rocambolesques (et on apprend d'ailleurs l'origine de ce mot!). Mais certaines péripéties sont bizarres, ce qui nuit à la cohérence de l'intrigue (on peut m'expliquer pourquoi les beaux-parents du narrateur et leurs voisins sont soudainement gentils avec lui alors que le reste du pays le haïssent?). Je pense que Benacquista a voulu démontrer que la réalité dépasse parfois la fiction, mais ce n'est pas complètement réussi, selon moi. Il manque un petit quelque chose, un peu d'huile dans les engrenages, on ne retrouve plus l'aisance d'écriture du début.

Malgré ce petit essoufflement final, j'ai vraiment apprécié cette lecture qui nous fait réfléchir à notre relation avec la télévision tout en étant fort divertissante.


Lu dans le cadre du Blogoclub. Pour les billets des autres participants, suivez les liens chez nos deux admirables organisatrices Sylire et Lisa. Notez que ce mois-ci nous avions le choix entre deux romans, l'autre étant Maudit Karma de David Safier.

Voyez aussi les billets de Karine, Amanda, Émeraude...


Et pour aller plus loin dans la thématique de ce mois-ci (la comédie en littérature), je vous recommande l'excellent billet de l'écrivain Éloi Paré: Où sont les chefs-d'oeuvre du rire?

Saga de Tonino Benacquista, publié chez Gallimard en 1997. 353 p.

23 février 2010

Le Lion

Je n'en reviens tout simplement pas: chez Gallimard (et dans plusieurs blogues visités) on présente ce livre comme un roman jeunesse? À partir de 11 ans, nous dit l'éditeur. Hé bien moi, si j'avais lu ce bouquin à 11 ans, il y a des grands bouts que je n'aurais pas compris, et d'autres qui m'auraient traumatisée par leur violence.

Ceci dit, cela reste un roman formidable. La description de l'Afrique et de sa nature est d'une grande beauté. Les thèmes abordés sont universels. Une famille dont les membres s'aiment d'un amour passionné, sont incapables de se séparer mais forcément malheureux ensemble. La fin du colonialisme, la redéfinition des relations entre les Blancs et les Africains. Et surtout l'amour entre une petite fille et la Nature qui l'a vue grandir, symbolisée par ce lion qu'elle a apprivoisé, alors qu'elle entre dans l'adolescence et découvre la jalousie et un pouvoir de séduction qui la dépasse...

Vraiment un très beau roman. Seulement, je vais attendre quelques années avant de l'offrir à ma nièce, pour qui je l'avais acheté au départ... Est-ce que je me fais des illusions de vieille tante sur la jeunesse d'aujourd'hui? Si vous avez lu ce livre, j'aimerais bien vos commentaire sur cette question.


Les billets de Karine, Kali, Cryssilda,... enfin, il y en a trop!


Le Lion de Joseph Kessel, Gallimard 1958. Édition illustrée ici: Gallimard/Folio, 1977, 251 p.

18 février 2010

L'Oracle della Luna

Roman de cape et d'épée, histoire d'amour, leçon d'Histoire, récit de voyage autour de la Méditerranée, parcours initiatique, discussions théologiques et philosophiques sur le Destin et le libre arbitre et explorant les trois grandes religions occidentales, théories sur l'astrologie assez bien développées pour à tout le moins soutenir l'intérêt d'une sceptique comme moi... C'est un peu tout ça qu'on retrouve dans ce roman historique se déroulant au début du XVIe siècle alors que Luther vient d'ébranler les fondements de l'Église catholique. Si j'ai trouvé l'écriture de Lenoir sans grande originalité, cela a au moins l'avantage de laisser toute la place à la narration, qui nous fait visiter la Venise des Doges, les monastères orthodoxes grecs, et d'autres lieux tout aussi exotiques! Un excellent thriller historico-mystico-etc, très divertissant, intelligent et plein de rebondissements.



Les billets de Laurence du Biblioblog et de So.


L'Oracle della Luna de Frédéric Lenoir, publié chez Albin Michel/Livre de Poche en 2006. 728 p.

08 février 2010

The Prince of Tides

(Titre en français: Le Prince des marées. )
(Ça c'est pour ma lectrice fidèle Vieux Chagrin qui fait la baboune et va voir ailleurs lorsqu'elle aperçoit seulement un titre en anglais!)

Le début me rappelait quelque chose: deux jumeaux dont l'un est interné pour schizophrénie, et l'autre qui raconte leur enfance au sein d'une famille dysfonctionnelle au psychiatre chargé du cas, j'ai vu ça dans I Know This Much Is True de Wally Lamb. Heureusement, à part ce point de départ semblable, les deux romans sont assez différents pour qu'on arrête vite de les comparer.

Le vrai tour de force de Pat Conroy, c'est de nous faire aimer tous les personnages à un moment donné, même si quelques pages plus tôt on les détestait. Même le père violent, même la mère mythomane. On comprend pourquoi ils sont ainsi et on éprouve une grande compassion pour eux. Une seule exception, un personnage qui fait office de Grand Méchant Loup, d'Ogre de contes de fée, le Mal incarné qui signale la fin de l'enfance. Quelques personnages secondaires loufoques viennent alléger l'atmosphère quand il le faut.

J'ai apprécié la construction du récit, l'intrigue qui se dévoile peu à peu en nous donnant des indices puis nous les faisant oublier, au cours des allers-retours entre le passé et le présent, entre New York et la Caroline du Sud. Car ces deux lieux prennent une grande importance, surtout les marais d'eau salée de la petite ville de Colleton, que l'auteur décrit de façon si magnifique qu'on a envie de tout lâcher pour devenir pêcheur de crevettes dans les chenaux ensoleillés. Apprécié aussi cette alternance de scènes dramatiques ou violentes et d'autres très amusantes ou belles, avec des dialogues toujours spirituels. Un très bon moment de lecture!


Je suis sans doute la dernière de la blogosphère à lire ce roman! Quelques billets, ceux de Karine, Restling, Jules, Cuné, Amanda, Fashion...


The Prince of Tides de Pat Conroy, Houghton Mifflin Company, 1986. 567 p.

04 février 2010

Lire à l'école

Bob August m'a devancée; comme moi il a lu l'article du journal La Presse du samedi 30 janvier intitulé Lectures scolaires: Kafka ou Twilight? Ma première réaction: n'y a-t-il pas un juste milieu entre ces deux extrêmes? Alexandre Dumas, Réjean Ducharme? Michel Tremblay ne devrait-il pas être un incontournable dans nos écoles? Reste que la question soulevée par ce dossier (lisez aussi les autres articles, les liens sont fournis au bas du premier) est fort intéressante. Devrait-on imposer aux élèves des lectures plus faciles (par exemple la série des Harry Potter, Amos Daragon, ou même des bandes dessinées!) pour les encourager à lire, ou au contraire leur faire découvrir des auteurs vers lesquels ils n'iraient pas spontanément? Je pencherais vers un mélange des deux options, soit des oeuvres plus faciles pour les 12-13 ans, et plus exigeantes par la suite. Le ministère de l'Éducation ne veut pas imposer de titres, laissant carte blanche aux enseignants; c'est compréhensible, mais il me semble que certains écrivains devraient être obligatoires, question de se donner une base culturelle commune.

«Dans mon temps» (dit avec une voix chevrotante de vieille matante), il me semble qu'on se consacrait surtout à la littérature québécoise. Au secondaire, je me souviens notamment du Torrent d'Anne Hébert, d'Agaguk de Thériault et de Poussière sur la ville de Langevin, que j'avais trouvé déprimant mais qui avait donné lieu à un débat animé en classe sous la forme d'un procès avec juge, avocats, témoins, etc. Une bonne idée de notre professeur pour rendre la littérature plus vivante, plus incarnée. Comme j'avais choisi l'option français-théâtre en secondaire 5, je garde un souvenir ému de Salut Galarneau! de Jacques Godbout, que nous avions aussi vu joué au Théâtre Denise-Pelletier avec un Serge Thériault inoubliable dans le rôle principal (au fait, les écoliers vont-ils encore au théâtre?). Au CÉGEP, on continuait dans la même veine avec Le Survenant de Guèvremont, Maria Chapdelaine d'Hémon, Bonheur d'occasion de Gabrielle Roy...

Pour ce qui est de la littérature française et étrangère, il me semble que c'est là que le bât blessait. Je ne me souviens pas d'avoir lu un seul auteur classique français à l'école secondaire, du moins pas un livre complet (je parle ici des lectures obligatoires, car en lectrice assidue je connaissais déjà Dumas, Molière, etc). On effleurait plutôt plusieurs oeuvres grâce à ces recueils d'extraits que je trouvais extrêmement frustrants (encore maintenant je ne peux approcher de George Sand sans me boucher le nez). J'ai souvenir d'une discussion presque hargneuse avec mon professeur de français de secondaire 3 au sujet de Cyrano de Bergerac... La célèbre tirade du nez s'interprète différemment si on la prend hors contexte, et encore aujourd'hui je suis convaincue que le prof en question n'avait jamais lu la pièce entière, ce qui m'avait mise hors de moi! Au CÉGEP il me semble bien avoir lu quelques classiques mais les titres m'échappent, à part L'Écume des jours de Vian et la poésie de Prévert que j'avais déjà découverts avec bonheur par mes propres moyens.

Ma plus belle expérience de lecture scolaire, ce fut en sixième année du primaire, lorsqu'un matin notre professeur nous lut à voix haute les premiers chapitres de Bilbo le Hobbit. Pour plusieurs enfants cela avait été la révélation que la lecture pouvait être autre chose qu'une corvée. Il nous avait ensuite invités à continuer par nous-mêmes le roman, sans aucune obligation. Durant la récréation du midi, les trois-quarts des élèves s'étaient rendus les uns après les autres à la librairie du quartier pour essayer d'en faire l'acquisition. J'avais découvert ce jour-là un de mes écrivains chouchous, mais surtout j'avais eu l'impression de participer à une sorte de communion presque mystique: moi dont le principal passe-temps était la lecture (ce qui dans le temps comme maintenant ne faisait pas de vous l'écolière la plus cool de la classe), j'avais pu partager ce plaisir avec tout un groupe.

Et vous, quelles ont été vos lectures scolaires les plus marquantes (en bien ou en mal), et quelles furent les grandes lacunes de votre éducation?