30 mai 2020

Into the Forest (Dans la forêt)

J'aime généralement les romans de style post-apocalyptique (sous-genre de la SF):  La Route et Station Eleven, par exemple, ont été de gros coups de cœur.  Ces histoires font souvent ressortir ce qu'il y a de mieux et de pire chez l'humain.  Alors quand on a su le résultat du vote pour la lecture de mai du club de lecture du forum Livraddict (dont le thème était ce mois-ci la forêt), je n'ai pas hésité.  Cela dit, quelques semaines s'étant écoulées entre le choix et la lecture, je me souvenais à peine (bon pas du tout, en fait) du genre en question et j'ai découvert ce roman sans a priori.

Into the Forest de Jean Hegland (auteure américaine jusque-là inconnue de moi) m'a beaucoup fait penser au Mur invisible de Marlen Haushofer, que j'aurais d'ailleurs pu nommer dans les coups de cœur ci-dessus.  Comme dans ce dernier, il y est question de reconnecter avec la nature, de redécouvrir les gestes ancestraux nécessaires à la survie, de faire le deuil du confort et de la sécurité qu'on prenait pour acquis.  Mais il s'y ajoute d'autres thèmes fort bien développés, notamment l'amour sororal (merci à mon ami Le Petit Robert, ou Ti-Bob, de m'avoir confirmé l'existence de ce terme; pourquoi utilise-t-on «fraternel» quand il n'y a aucun frère en vue?), le deuil, les premières amours et le passage de l'adolescence à l'âge adulte.  Car, encore plus qu'un roman post-apocalyptique, on est devant un magnifique «roman d'apprentissage».  Il est aussi question de libre-arbitre: «you are your own person», répétait souvent la mère des deux protagonistes.

L'intrigue?  À la suite d'une série de catastrophes naturelles et d'épidémies (c'est assez flou), la civilisation moderne s'est effondrée progressivement.  Après la mort de leurs parents, deux sœurs de 16 et 17 ans se retrouvent isolées dans leur maison dans la forêt et doivent apprendre à se débrouiller toutes seules pour survivre.  Je vous laisse découvrir les péripéties qu'elles vivront, certaines prévisibles, d'autres surprenantes, et qui nous sont racontées par la plus jeune dans son journal.  Au moment d'écrire ces lignes, la discussion du club de lecture n'a pas encore eu lieu; j'ai vraiment hâte de voir ce que les autres auront pensé de la fin, notamment.  En tous cas, je dois dire que ce roman correspond vraiment bien au thème puisque la forêt y est très présente, tant comme menace que comme refuge et moyen de subsistance.


Au cas ou ça intéresserait quelqu'un, le thème de juin, proposé par votre humble servante, est la science-fiction francophone, et le livre sélectionné est La Horde du Contrevent de Alain Damasio.  Tous sont bienvenus!


Into the Forest de Jean Hegland, 1996, 201 p.  Titre de la traduction française: Dans la forêt.

26 mai 2020

L'Adversaire

Quelle histoire à la fois fascinante et troublante, surtout lorsqu'on sait qu'il s'agit d'un fait vécu!

La vie d'un homme, considéré par tout son entourage comme un citoyen exemplaire, médecin renommé, bon père de famille, est en fait un tissu de mensonge!  Sentant l'étau se resserrer sur lui, il assassine femme, enfants, père et mère pour ne pas avoir à endurer la honte d'être découvert.  (Je ne divulgâche rien, tout ça est raconté dès le départ.)

Intrigué par ce fait divers qui défraya la manchette dans les années 90, Emmanuel Carrère décide d’approfondir le sujet et contacte l'accusé ainsi que de nombreux témoins. Il nous livre un récit absolument passionnant décrivant la véritable spirale de fabulations dans laquelle s'est enfoncé peu à peu un homme au départ plutôt ordinaire.

Seule la fin m'a un peu déçue.  La notion de pardon y est abordée d'un point de vue religieux, mais j'aurais aimé un contrepoint sur le plan strictement moral, ce qui aurait sans doute été apporté si Carrère avait écrit ce livre quelques années plus tard, lorsqu'il est devenu athée (comme il le raconte avec brio dans Le Royaume).

Une lecture qui donne froid dans le dos!


L'Adversaire d'Emmanuel Carrère, 2000, 221 p.

18 mai 2020

Vingt-trois secrets bien gardés

Un billet court pour un livre court!

En effet, ce recueil de vingt-trois souvenirs de Michel Tremblay se lit en moins d'une heure, même si l'on essaie d'y aller lentement pour bien savourer.  C'est toujours un plaisir de retrouver la plume d'un de mes auteurs chouchous!  Avec sa verve habituelle, il nous raconte des épisodes allant de la plus tendre enfance jusqu'à l'âge adulte.  Pour ma part j'ai préféré ceux de l'enfance et de l'adolescence, peut-être parce qu'on y est plus dans la veine de ses autres recueils autobiographiques (Un Ange cornu avec des ailes de tôles, etc), que j'ai tant aimés.  Quoique le chapitre où il parle du premier concert auquel il a assisté après l'installation de son orthèse auditive est vraiment émouvant.  Et la fois où il a craché un morceau de pruneau sur la cravate de Jack Lang, c'est pas piqué des vers non plus!

Une lecture charmante, mais pas aussi marquante que ses autres recueils de souvenirs.  Je ne suggérerais donc pas ce bouquin comme premier contact à qui voudrait découvrir Tremblay, mais en complément au reste de son œuvre, c'est tout à fait agréable à lire.  


Vingt-trois secrets bien gardés de Michel Tremblay, 2018, 107 p.

16 mai 2020

Être du monde

Une œuvre complètement différente des romans historiques auxquels nous a habitués Maryse Rouy.  Il s'agit du récit d'un épisode douloureux de sa propre vie, celui où elle a accompagné sa mère, atteinte de la maladie de Lou Gehrig, dans ses derniers mois d'existence.

Impossible de ne pas être touché par ces événements, racontés de la plume à la fois pudique et généreuse de l'auteure.  Je me disais en lisant que ce serait peut-être difficile à supporter pour quelqu'un qui vit ou a vécu récemment la situation de proche aidant, mais à bien y penser, ce serait peut-être libérateur de constater qu'on n'est pas seul à éprouver toutes ces émotions: non seulement la tristesse, mais aussi la colère, le sentiment d'injustice et la culpabilité.  Sans que j'aie moi-même vécu cette expérience de proche aidant, plusieurs anecdotes m'ont fait penser à mon père, qui a passé les dernières années de sa vie dans un CHSLD.  Certains souvenirs sont empreints de douceur (son sourire quand il nous voyait arriver, les promenades en chaise roulante sur la terrasse ou dans le voisinage) ou sont plus pénibles (les difficultés grandissantes à manger, à parler).  Et aussi comment, après son décès, j'ai continué pendant des semaines à penser régulièrement «tiens, ça, je vais le raconter à papa», tellement j'avais pris l'habitude de noter toute nouvelle ou fait amusant dont nous pourrions discuter ensemble.

Je vous entends dire in petto que ça doit être quand même un peu lourd, comme bouquin...  Eh bien non, car le récit est entrecoupé de petits chapitres racontant la vie quotidienne à bord du cargo sur lequel l'auteure fait une retraite d'écriture, le temps d'une traversée de l'Atlantique.  Ces épisodes sont comme de petites oasis dans cette lecture qui autrement aurait pu être dure.


Être du monde de Maryse Rouy, 2019, 189 p.

03 mai 2020

Dumb Witness (Témoin muet)

Ah ce cher Poirot, quel bonheur de le retrouver après toutes ces années!  Sans oublier le fidèle Hastings, à l'humour toujours piquant!

Les romans policiers d'Agatha Christie ont été, avec les Arsène Lupin, mes premières lectures «adultes», après les Comtesse de Ségur et autres «Signe de Piste».  Et par lecture adulte, je veux dire ces livres qui se trouvaient au rez-de-chaussée de la bibliothèque municipale, et non dans le minuscule sous-sol réservé aux enfants!  J'ai fait une véritable razzia dans leur collection.  Nous possédions également quelques tomes au chalet, et je les ai lus plusieurs fois, la plupart du temps sans me souvenir d'un été à l'autre qui était le coupable...  Eh oui, à douze-treize ans, j'avais déjà une mémoire de poisson rouge!

Ces temps-ci je fréquente beaucoup le forum Livraddict, et l'auteur du mois qui avait été élu pour avril était justement la grande dame du crime, comme on l'appelle souvent.  Alors de voir passer durant tout le mois des discussions et des avis sur ses romans, ça m'a donné le goût d'en lire un, même si finalement je l'ai fini trop tard pour participer au défi.

Ma «phase 2» avec cette auteure, c'est quand j'ai commencé à lire en VO.  D'ailleurs le premier livre que j'ai lu en anglais c'était The Pale Horse, j'étais en secondaire IV*!  Je pense en avoir lu quelques autres les années suivantes, donc je devais avoir environ vingt ans la dernière fois.  C'est vous dire à quel point, vu les capacités de ma mémoire, comme mentionné ci-dessus, je n'avais aucune idée des titres que j'avais déjà lus quand est venu le temps d'en choisir un parmi ceux offerts en prêt numérique (j'ai été heureusement surprise par la quantité, soit dit en passant).    À défaut d'autres critères de sélection, j'ai pris celui... avec un chien sur la couverture!  (Il s'appelle Bob.)

Ce qui m'a surpris en commençant ma lecture, c'est de constater à quel point cela se lit facilement, même en VO.  Il faut dire que le texte est surtout constitué de dialogues, puisque la méthode d'investigation de Poirot repose surtout sur l'interrogation des différents témoins et suspects.  Je ne me souvenais pas non plus de l'humour omniprésent dans les conversations entre Poirot et Hastings; ils sont toujours en train de s'envoyer des piques, c'est délicieux!  Et j'ai vraiment jubilé de retrouver la traditionnelle petite scène finale où tous les suspects sont rassemblés et sont pendus aux lèvres de Poirot, qui dévoile tranquillement les résultats de son enquête.

Je crois que je n'attendrai pas encore trente ans avant d'en lire un autre.  Un Miss Marple, peut-être, ou un Tommy et Tuppence?


* Donc vers 16 ans, pour mes lecteurs européens. 


Dumb Witness d'Agatha Christie, 1937, 237 p.  Aussi publié sous le titre Poirot Loses a Client. Titre de la traduction française: Témoin muet.

01 mai 2020

Le Monde d'hier

On présente généralement ce livre comme une autobiographie de Zweig...  Or, ce n'en est pas vraiment une, puisqu'il parle surtout des grands événements qui ont marqué la première moitié du XXe siècle, de l'impact qu'ils ont eu sur la société, sur sa propre vie et sur son œuvre.

J'avoue que les premiers chapitres ne m'ont pas passionnée.  Après une jolie description de la ville de Vienne à la fin du XIXe siècle, il nous livre sa perception du système d'éducation autrichien, du primaire à l'université, et de l'évolution des relations entre les jeunes gens et jeunes filles.  Ce n'est pas inintéressant, mais comme bien sûr la situation a continué d'évoluer par la suite, ces idées sont à prendre avec un grain de sel.

C'est lorsqu'il aborde le début de l'âge adulte, ses voyages, ses premiers succès littéraires, que ça devient vraiment passionnant.  J'ai adoré l'atmosphère de l'Europe d'avant la Première Guerre mondiale.  Les gens parlaient plusieurs langues, on passait d'un pays à l'autre sans restriction, la culture avait une grande importance.  Ça m'a rappelé de bons souvenirs de Proust, notamment!  Je crois que j'aurais aimé vivre à cette époque (à condition d'être née dans une famille bourgeoise, hein, parce que travailler dans une mine ou en usine, dans ces années-là, bof, quoi!)

Il y aura ensuite des moments vraiment tragiques, d'autres plus légers, d'autres étranges (par exemple la folie de spéculation après la guerre, complètement foldingue!).  J'ai particulièrement aimé les passages où il narre ses rencontres avec des artistes et intellectuels célèbres: Freud, Rilke, H.G.Wells et bien d'autres.  Il a notamment pu observer Rodin au travail dans son atelier, vous imaginez?

Par contre, les lecteurs qui espèrent trouver dans ce livre des détails intimes ou croustillants sur Zweig seront cruellement déçus.  Il parle tellement peu de sa vie privée que c'est seulement grâce aux notes qu'on apprend à quelle époque il s'est marié, et lorsqu'il mentionne finalement sa femme, c'est au sujet d'un commentaire qu'elle lui a fait sur son travail!  D'ailleurs cela me fait penser que j'ai beaucoup aimé également les quelques pages où il décrit sa méthode d'écriture pour ses biographies, c'est fascinant:  il écrit un premier jet où sont rassemblées toutes les données récoltées durant ses recherches, toujours des plus minutieuses; puis il réécrit et réécrit encore en coupant, élaguant, concentrant le plus possible.  D'un premier manuscrit de deux mille pages, il n'en reste que deux cents à la fin!  Car il n'y a rien qui lui pue au nez autant qu'un biographe qui écrit pour mettre en valeur l'étendue de son savoir par des énumérations et descriptions interminables.  Il a même suggéré à un éditeur de publier des versions abrégées des grands classiques en enlevant toutes les digressions!  Voilà qui me donnera des munitions la prochaine fois qu'on m'accusera de lèse-majesté pour avoir sauté des bouts des Misérables et de Guerre et Paix!

Un mot enfin sur la traduction.  J'ai lu la plus récente, celle de Serge Niemetz (1993).  Je l'ai trouvée correcte dans l'ensemble, mais j'ai trébuché à l'occasion sur quelques phrases boiteuses.  Si vous avez lu l'ancienne, celle de Jean-Paul Zimmermann, je serais curieuse de savoir ce que vous en avez pensé. 


Le Monde d'hier de Stefan Zweig, traduit de l'allemand (Autriche), 1942, 592 p.  Titre original: Die Welt von Gestern.