22 mars 2021

Un Roman russe

Ouf!  Quelle noirceur!

Les livres de Carrère ne sont pas toujours très joyeux, mais même dans L'Adversaire (qui raconte tout de même l'histoire véridique d'un gars qui a tué sa femme et ses enfants, rappelons-le), je n'ai jamais eu cette sensation d'étouffement.  
 
J'en sors également un peu décontenancée car j'avais cru comprendre (et c'est d'ailleurs ce que laisse supposer la quatrième de couverture, même si je ne l'avais pas lue) que le sujet du récit était une enquête sur le grand-père maternel de l'auteur, d'origine géorgienne, qui a été collabo et a disparu à la fin de la Seconde Guerre mondiale, enquête qui se déroulerait principalement en Russie. Du grand-père, en fait, il sera peu question, même si son fantôme plane sur tout le roman comme une malédiction -- c'était déjà beaucoup de le mentionner, malgré la honte, malgré l'interdiction maternelle.  Si Carrère se rend bel et bien en Russie à plusieurs reprises, c'est pour d'autres raisons, notamment celle de parfaire ses connaissances en langue russe. 

De plus, j'ai trouvé qu'il allait vraiment loin dans le dévoilement de détails intimes, notamment sur les pratiques sexuelles de sa conjointe de l'époque; j'en étais mal à l'aise pour elle!  Mais surtout, le portrait qu'il trace de lui-même est vraiment sans pitié.  Complètement égocentrique, il agit souvent de façon odieuse.  J'avais envie de le frapper!
 
Il reste que l'écriture de Carrère est formidable, qu'il soulève d'importantes questions sur le couple, la jalousie, l'héritage familial, la fiction, le mensonge, etc.  J'ai apprécié aussi le récit de ses voyages en Russie, que ce soit à Moscou ou dans un petit bled perdu, Kotelnich, où il s'est rendu à plusieurs reprises pour le tournage de documentaires.  Donc un livre intéressant mais que je ne vous recommande pas si vous cherchez une petite lecture doudou, comme c'est le cas pour bien des gens ces temps-ci. 
 
 
Un Roman russe d'Emmanuel Carrère, 2007, 327 p.

19 mars 2021

1Q84 (livre 3, octobre-décembre)

Le meilleur des trois tomes, et une excellente conclusion pour cette trilogie!
 
En plus du fantastique, présent depuis le début, s'ajoute ici un petit côté thriller.  J'aime beaucoup les romans où un héros se cache et qu'un enquêteur (policier, détective ou autre) le cherche, et qu'on sent l'étau se resserrer peu à peu... C'est ce qu'on retrouve ici, et ce jeu du chat et de la souris est très réussi.  Dans un genre littéraire complètement différent, cela m'a fait penser à l'excellent Seul dans Berlin de Hans Fallada.

De plus, je n'ai pas ressenti, comme dans le tome 2, cette occasionnelle inégalité d'intérêt entre les trames narratives qu'on suit en parallèle.  On en suit trois maintenant et toutes sont passionnantes, si bien qu'on a autant de peine à en quitter une qu'on a de plaisir à en reprendre une autre.  Le temps ne se déroule pas d'une façon linéaire mais effectue plutôt un mouvement de balancier d'une trame à l'autre, ce qui ajoute du piquant, car il faut toujours être à l'affut des petits indices nous permettant de nous situer.

Le seul petit défaut que je peux reprocher à Murakami (et je ne me rappelle pas avoir remarqué cela dans les autres œuvres que j'ai lues, Kafka sur le rivage et Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil), c'est une tendance à trop entrer, parfois, dans les micro-détails: Tengo se met au lit, fort bien, pas besoin de nous dire qu'auparavant il se brosse les dents, enfile le même pyjama en coton que la veille, etc.  L'intention, celle de nous mettre dans l'ambiance, de nous permettre de bien visualiser l'action, est louable, certes, mais il ne faut pas exagérer.  

Je craignais un peu d'être déçue par la fin ou de ne pas la comprendre, comme cela m'était arrivé avec Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil, et comme c'est arrivé à d'autres lecteurs de cette trilogie-ci.  Après 1500 pages se retrouver le bec à l'eau, c'est embêtant.  Mais finalement j'ai beaucoup aimé le dénouement, il m'a pleinement satisfaite, même si certaines choses portent à interprétation.  On est chez Murakami, tout de même; il n'allait pas nous livrer toutes les explications sans qu'on doive fournir le moindre effort!
 
Il est même question de Proust!  Mon bonheur est complet.


1Q84 (livre 3, octobre-décembre) de Haruki Murakami, traduit du japonais, 2010, 530 p.  Titre de la version originale: 1Q84 (Book 3).

05 mars 2021

The Enchanted April (Avril enchanté)

Les voyages vous manquent, vous en avez marre de l'hiver?  Ce roman est pour vous!

On y suit quatre Anglaises de condition sociale et d'âge différents, qui décident sur un coup de tête de louer un petit château en Italie pour un mois.  Chacune a ses raisons, qu'on découvrira peu à peu.  Et ce séjour dans ce décor idyllique, presque magique, aura sur chacune un effet profond... Mais je n'en dis pas plus sur l'intrigue, car finalement il ne se passe pas grand-chose; tout l'intérêt réside dans l'interaction entre les quatre femmes et quelques autres personnages, dans les dialogues fort amusants et surtout dans les magnifiques descriptions du jardin italien au printemps, de ses arbres en fleurs et de sa brise parfumée.

La seule petite chose que je déplore, c'est qu'on ne décrit pas la nourriture offerte aux quatre vacancières.  Elizabeth Von Arnim n'était sûrement pas très gourmande s'il ne lui est pas venu à l'idée de nous parler d'antipasti, de gelati ou d'autres délicieuses spécialités italiennes!  En fait, un des rares passages où la bouffe est mentionnée, c'est quand la vieille Mrs Fisher se désole de l'impossibilité de manger des pâtes avec élégance, et qu'elle se résout à les couper en petits morceaux sous le regard indignée de la domestique! 

D'après certains commentaires que j'ai lus, des lectrices ont été déçues de l'importance qu'ont leur mari dans la vie et les préoccupations de ces femmes.  Je leur rappelle que le livre a été publié en 1922.  Le simple fait que deux des personnages (les deux autres étant soit veuve, soit célibataire) aient décidé de partir en voyage sans demander l'avis de leur époux (ou alors en usant de quelques subterfuges) était déjà presque révolutionnaire!  Bien entendu, certaines idées ne sont plus de mise, mais il faut replacer les choses dans leur contexte.  

Un roman charmant!
 
 
The Enchanted April de Elizabeth Von Arnim, 1922, 216 p.  Titre de la traduction française: Avril enchanté.