J'en avais d'abord entendu parler dans le petit bijou d'Helen Hanff, 84, Charing Cross Road (un recueil de lettres entre une écrivaine américaine et un libraire anglais):
(...) en octobre dernier quelqu'un m'a présentée à Louis, duc de
Saint-Simon, dans une version abrégée minable. Je me suis précipitée à la
Society Library, où les livres sont en libre accès et où on peut tout emprunter
chez soi, et là j'ai trouvé le vrai texte. Depuis, je me vautre dans
Louis. L'édition que je lis est en six volumes et, la nuit dernière, alors
que j'étais au milieu du VIe volume, je me suis aperçue que je ne pouvais pas
supporter l'idée que lorsque je l'aurai rendu, je n'aurai plus de Louis dans la
maison.
La traduction que je lis est de Francis Arkwright et elle est délicieuse,
mais toute édition que vous pourrez trouver et que vous recommanderez me
conviendra. (...)
[Après réception des volumes] Veuillez trouver ci-joint, je vous
prie, s'il plaît à Dieu, un billet de 10 dollars. Y a intérêt à ce qu'il
vous parvienne car des comme ça il n'en pleut pas beaucoup ici ces derniers
temps, mais Louis a absolument voulu que je m'acquitte de ma dette le
concernant, il en a tellement assez de ceux qu'il a connus à la cour qu'il ne
voulait pas s'installer chez un parasite 270 ans plus tard.
Puis à peine quelques jours après cette lecture, une parente qui faisait du ménage dans sa bibliothèque m'offre une anthologie des Mémoires (n'en déplaise à Mme Hanff, une anthologie me convient bien, celle-ci est je crois fort bien faite). Ce n'est pas le genre de livre que j'aurais eu l'idée de lire, mais si Helen a aimé ça, pourquoi pas?
Hé bien, finalement, j'adore. Cela ne se lit pas d'une traite, comme un roman, mais plutôt se déguste quelques pages à la fois. C'est pourquoi je vous en parle avant d'avoir fini -- je n'en suis qu'au tiers environ. Pour tout amateur d'Histoire, et plus particulièrement de romans historiques français, c'est à lire absolument. En effet, quoi de mieux qu'une description de la cour de Louis XIV par quelqu'un qui y a vécu, et qui de surcroît écrit d'une façon incisive et sans ménager les susceptibilités (ces mémoires ne devant être rendues publiques qu'après sa mort)?
Par exemple, Mme de Maintenon, dont j'avais gardé l'image d'une femme pieuse et bonne, est décrite ici comme une hypocrite et une ambitieuse, qui manoeuvra pour discréditer Mme de Montespan et prendre sa place auprès du Roi, et qui fit si bien que celui-ci l'épousa secrètement après la mort de la Reine. Savoureux!
Voici un petit extrait amusant pour vous donner une idée du ton:
Il y avait une prière publique tous les soirs dans la chapelle à Versailles à la fin de la journée, qui était suivie d'un salut avec la bénédiction du saint sacrement tous les dimanches et les jeudis. L'hiver, le salut était à six heures; l'été à cinq, pour pouvoir aller promener après. Le roi n'y manquait point les dimanches et très-rarement les jeudis en hiver. À la fin de la prière, un garçon bleu en attente dans la tribune courait avertir le roi, qui arrivait toujours un moment avant le salut; mais qu'il dût venir ou
non, jamais le salut ne l'attendait. Les officiers des gardes du corps postaient
les gardes d'avance dans la tribune, d'où le roi l'entendait toujours. Les dames
étaient soigneuses d'y garnir les travées des tribunes, et l'hiver de s'y faire
remarquer par de petites bougies, qu'elles avaient pour lire dans leurs livres
et qui donnaient à plein sur leur visage. La régularité était un mérite, et
chacune, vieille et souvent jeune, tâchait de se l'acquérir auprès du roi et de
Mme de Maintenon.
Brissac, fatigué d'y voir des femmes qui n'avaient pas l'air de se
soucier beaucoup d'entendre le salut, donna le mot un jour aux officiers qui
postaient; et pendant la prière il arrive dans la travée du roi, frappe dessus
son bâton, et se met à crier d'un ton d'autorité: « Gardes du roi, retirez-vous:
le roi ne vient point au salut. » À cet ordre tout obéit, les gardes
s'en vont, et Brissac se colle derrière un pilier. Grand murmure dans les
travées, qui étaient pleines; et un moment après chaque femme souffle sa bougie,
et s'en va tant et si bien qu'il n'y demeura en tout que Mme de Dangeau et deux
autres assez du commun.
C'était dans l'ancienne chapelle. Les officiers, qui étaient avertis,
avaient arrêté les gardes dans l'escalier de Blois et dans les paliers, où ils
étaient bien cachés, et quand Brissac eut donné tout loisir aux dames de
s'éloigner et de ne pouvoir entendre le retour des gardes, il les fit
reposter. Tout cela fut ménagé si juste que le roi arriva un moment après, et
que le salut commença. Le roi qui faisait toujours des yeux le tour des tribunes
et qui les trouvait toujours pleines et pressées, fut dans la plus grande
surprise du monde de n'y trouver en tout et pour tout que Mme de Dangeau et ces
deux autres femmes. Il en parla, dès en sortant de sa travée, avec un grand
étonnement. Brissac, qui marchait toujours près de lui, se mit à rire et
lui conta le tour qu'il avait fait à ces bonnes dévotes de cour, dont il s'était
lassé de voir le roi la dupe. Le roi en rit beaucoup, et encore plus le
courtisan. On sut à peu près qui étaient celles qui avaient soufflé leurs
bougies et pris leur parti sur ce que le roi ne viendrait point, et il y en eut
de furieuses qui voulaient dévisager Brissac, qui ne le méritait pas mal
par tous les propos qu'il tint sur elles.
Comme ça semble intéressant. Encore un livre a ajouter à ma liste - j’espère vivre au moins jusqu’à cent ans pour venir à bout de ma liste actuelle ;-)
RépondreEffacerDans un genre similaire, je ne saurais trop te recommander « Les mémoires d’outre tombe » de Chateaubriand. C’est absolument extraordinaire, rien de moins. C’est le tout premier des cinq livres que j’apporterais avec moi sur une île déserte. C’est le livre d’une vie, à lire à tous les âges de la vie...
Si tu es intéressée, je te recommande la belle - et économique - version en livre de poche (attention : plus de 1,800 pages) dans la collection Classique modernes (9782253132400). Visuellement, ça ressemble beaucoup à la belle collection Bouquins...
Merci, Bob, j'en prend note... Par contre, j'achète rarement des livres (sauf pour des cadeaux), je vais plutôt l'emprunter à la bibli! :-)
RépondreEffacer@ Grosminou2
RépondreEffacer> je vais plutôt l'emprunter
> à la bibli
Tu es d'une grande sagesse... ou bien tu habites dans un tout petit appartement que tu refuses de voir remplis de livres du plancher au plafond ;-)
> j'achète rarement des livres
> (sauf pour des cadeaux)
Alors je te refile ma liste ;-)))
En fait, l'appartement est déjà plein de livres du plancher au plafond! ;-)
RépondreEffacer> l'appartement est déjà
RépondreEffacer> plein de livres
Des photos ! nous voulons des photos ;-)