
Une chance que Gropitou lis rarement mon blog...
En général, j'ai beaucoup de difficulté avec les romans où le personnage principal est antipathique. Il faut que je puisse lui trouver au moins quelques qualités sinon je n'accroche pas, a fortiori lorsque le récit est à la première personne comme ici. C'est pourquoi j'étais craintive au début de ce bouquin: un officier des SS, qui en plus travaille à l'organisation des massacres? Hé bien, ce doit être que l'auteur a un grand talent, car j'y suis arrivé. Oui, le personnage en arrive à être presque sympathique, même. Je crois que le paragraphe que je vous ai cité dans un billet précédent y est pour beaucoup. Particulièrement la phrase «(...) excusez-moi, il y a peu de chances pour que vous soyez l'exception, pas plus que moi.»
Paradoxalement, le fait que les scènes les plus horribles soient au début du roman y aide aussi (j'aurais cru le contraire). Sans oublier ces actes, on les accepte, d'une certaine façon, et on continue. Non, je ne pourrais même pas dire qu'on les accepte, mais on les classe dans un coin du cerveau parce qu'ils sont pour l'instant incompréhensibles. Aussi le fait que le personnage se soit rendu malade physiquement, sans que lui-même ne fasse le lien entre ce qu'il a dû faire et ses problèmes de santé, nous permet de voir qu'il restera marqué dans son corps et dans son âme, qu'il ne s'en sortira pas indemne.
Autant lorsqu'un héros est formidable, on s'y identifie et on voudrait croire que nous aussi, dans les mêmes circonstances... autant ici, à l'inverse, on se rassure (étrangement) sur l'humanité entière en se disant que les humains sont faits ainsi et que nous aussi on aurait peut-être agi ainsi... Enfin, je m'explique mal en quoi je trouve cela réconfortant! Si ces gens ont commis des atrocités, ce n'est pas parce qu'ils étaient tous foncièrement méchants, mais parce que leur cerveau a été conditionné pour cela. Et seuls quelques spécimens exceptionnels arrivent à combattre ce conditionnement. Il y a donc de l'espoir, car un cerveau pourra aussi être conditionné pour le Bien, si seulement on arrive un jour à s'entendre sur ce que c'est exactement...
Ok, j'avoue que tout cela est assez confus, moi-même je m'y perds, il n'y a rien de simple dans cette histoire-là! Mais croyez-le ou non, au bout du compte, j'ai eu plus de facilité à m'identifier (même si seulement très partiellement, hein?!) à un officier SS qu'à un poète du Moyen-Âge!!
La suite dans quelques jours...
Mes billets précédents sur ce livre: mes premières impressions, un drôle d'extrait.
Une belle grande femme en tenue de soirée un peu négligée m'ouvrit, les
yeux brillants. «Oui?» Derrière elle, la musique rugissait, j'entendais
des tintements de verres, des rires affolés. «C'est votre chambre?» demandai-je,
le cœur battant. -- «Non. Attendez.» Elle se retourna: «Dicky! Dicky! Un
officier te demande.» Un homme en veston, un peu ivre, vint vers la porte;
la femme nous regardait sans cacher sa curiosité. «Oui, Herr
Sturmbannführer? fit-il. Que puis-je pour vous?» Sa voix affectée,
cordiale, presque brouillée traduisait l'aristocrate de vieille souche. Je
m'inclinai légèrement et débitai d'un ton le plus neutre possible: «J'habite la
chambre au-dessus de la vôtre. Je reviens de Stalingrad où j'ai été
grièvement blessé et où presque tous mes camarades sont morts. Vos
festivités me dérangent. J'ai voulu descendre vous tuer, mais j'ai
téléphoné à un ami, qui m'a conseillé de venir vous parler d'abord. Alors,
voilà, je suis venu vous parler. Il vaudrait mieux pour nous tous que je n'aie
pas à redescendre.»
Encore une fois, soyons clairs: je ne cherche pas à dire que je ne suis pas coupable de tel ou tel fait. Je suis coupable, vous ne l'êtes pas, c'est bien. Mais vous devriez quand même pouvoir vous dire que ce que j'ai fait, vous l'auriez fait aussi. Avec peut-être moins de zèle, mais peut-être aussi moins de désespoir, en tout cas d'une façon ou d'une autre. Je pense qu'il m'est permis de conclure comme un fait établi par l'histoire moderne que tout le monde, ou presque, dans un ensemble de circonstances donné, fait ce qu'on lui dit; et, excusez-moi, il y a peu de chances pour que vous soyez l'exception, pas plus que moi. Si vous êtes né dans un pays ou à une époque où non seulement personne ne vient tuer votre femme, vos enfants, mais où personne ne vient vous demander de tuer les femmes et les enfants des autres, bénissez Dieu et allez en paix. Mais gardez toujours cette pensée à l'esprit: vous avez peut-être eu plus de chance que moi, mais vous n'êtes pas meilleur. Car si vous avez l'arrogance de penser l'être, là commence le danger.
Aussi, des avis beaucoup plus positifs que le mien: ceux de Coeur de Chêne du Biblioblog, de Thomthom, de Yueyin, et de Lo.