Ceci n'est pas mon commentaire définitif sur Les Bienveillantes de Jonathan Littell, puisqu'après trois semaines je ne suis même pas rendue à la moitié de cette énorme brique. J'avance à pas de tortue, c'est passionnant mais extrêmement dense, tant au niveau de la présentation visuelle que du contenu!
En attendant, je voulais partager avec vous cet extrait, dont la lecture m'a rappelé les interrogations que j'ai eues lors de la lecture de Luz ou le temps sauvage d'Elsa Osorio l'été passé, et en fait les interrogations que j'ai chaque fois que je lis quelque chose se rapportant à un génocide, à une guerre civile, etc, et ce depuis mon tout premier contact avec cette réalité, le journal d'Anne Frank lu vers l'âge de 13-14 ans.
Je me suis toujours demandé comment de telles atrocités à grande échelle pouvaient se produire. Car si on peut concevoir que quelques fous sanguinaires aient réussi à se hisser à des positions de pouvoir, comment expliquer que le reste de la population ait soit participé, soit fermé les yeux, pendant des mois ou des années, et que seuls une petite poignée de braves aient tenté de résister?
Pour ceux qui ne connaissent pas Les Bienveillantes, le narrateur est un officier SS et l'histoire se déroule durant la Deuxième Guerre mondiale, sur le front russe.
Encore une fois, soyons clairs: je ne cherche pas à dire que je ne suis pas coupable de tel ou tel fait. Je suis coupable, vous ne l'êtes pas, c'est bien. Mais vous devriez quand même pouvoir vous dire que ce que j'ai fait, vous l'auriez fait aussi. Avec peut-être moins de zèle, mais peut-être aussi moins de désespoir, en tout cas d'une façon ou d'une autre. Je pense qu'il m'est permis de conclure comme un fait établi par l'histoire moderne que tout le monde, ou presque, dans un ensemble de circonstances donné, fait ce qu'on lui dit; et, excusez-moi, il y a peu de chances pour que vous soyez l'exception, pas plus que moi. Si vous êtes né dans un pays ou à une époque où non seulement personne ne vient tuer votre femme, vos enfants, mais où personne ne vient vous demander de tuer les femmes et les enfants des autres, bénissez Dieu et allez en paix. Mais gardez toujours cette pensée à l'esprit: vous avez peut-être eu plus de chance que moi, mais vous n'êtes pas meilleur. Car si vous avez l'arrogance de penser l'être, là commence le danger.
Peut-être que lorsque les circonstances nous obligent à commettre des actes dont on ne se serait jamais cru capable, notre cerveau s'adapte en inventant des raisons «rationnelles» à ces actes, ou en s'appropriant les raisons habilement fournies par la propagande. Je crois que c'est ce que tente d'explorer ce roman.
Pas très gaies, mes réflexions aujourd'hui, hein? Heureusement qu'il y a eu deux lectures plus légères (ici et là) depuis le livre sur Villon, sinon je crois que je ne serais pas arrivé à enfiler directement avec celui-ci!
Pour ton questionnement, c'est une discussion que nous avons souvent avec un ami... Récemment, suite à ma lecture de "La voleuse de livres" (beaucoup plus léger que ce que tu lis présentement), je me suis encore interrogée là-dessus... je ne sais pas si j'aurai une réponse un jour.
RépondreEffacerC'est je crois tout le problème de la responsabilité de l'individu, noyé dans le groupe. Tout comme l'étudiait Harendt... intéressant et dérangeant à la fois
RépondreEffacerJ'ai hâte de lire la suite de tes commentaires sur le livre...
RépondreEffacerJe crois qu'il va bientôt arriver sur nos tablettes en Folio ; je passerai une commande à mon libraire à ce moment.
Karine, je crois qu'on ne peut pas savoir vraiment tant qu'on n'est pas confronté soi-même à la situation... En espérant que cela n'arrive jamais, bien sûr!
RépondreEffacerLa Voleuse de livres est sur ma LAL!
Choupynette, en effet, troublant mais très intéressant. Comme c'est dit dans le livre, celui qui tire la gâchette en bout de ligne est-il plus coupable que l'opérateur du train ou que tout autre maillon de la chaîne?
Bob: En Folio ça doit bien faire deux tomes, j'imagine? J'ai hâte de savoir ce que tu vas en penser, je crois que tu vas aimer.
Je me demandais si tu avais enchainé direct les bienveillantes après Villon. Heureusement non !
RépondreEffacerTa réflexion est intéressante sur le pourquoi de la passivité des gens.
Sylire, je n'aurais pas été capable d'enchaîner un à la suite de l'autre, car il y a plusieurs scènes épouvantables dans les Bienveillantes comme dans le Teulé! Mon petit coeur sensible ne l'aurait pas supporté! ;-) Heureusement le hasard a bien fait les choses en mettant sur ma PAL deux petits livres légers.
RépondreEffacer>En Folio ça doit bien faire
RépondreEffacer>deux tomes, j'imagine?
Non ; selon amazon.fr, 1401 pages en un seul volume ! Euh ! méchant livre de poche ;-)
Ça prend des grandes poches! ;-)
RépondreEffacerLu l'été dernier, j'ai comme toi avancé lentement et avec difficultés. Tes questionnements et ceux que suscitent cette lecture sont à la fois intéressants et inquiétants car ils touchent à la responsabilité et à la liberté de l'homme. Tout est-il justifiable ? Littell, à grand renfort de philo, essaie de le dire...
RépondreEffacerOui, Praline, en effet! J'ai hâte d'être arrivée au bout pour pouvoir avoir une vue d'ensemble...
RépondreEffacerJonathan Littell a-t-il écrit les Bienveillantes ?
RépondreEffacerhttp://judeomanie.blogspot.com/2008/03/jonathan-littell-t-il-crit-les.html
Jean Robin: Merci pour ce lien. Je n'ai pas encore lu votre article car j'ai peur qu'on y révèle des éléments de l'intrigue (les lecteurs assidus de mon blogue vous diront que j'ai horreur de connaître à l'avance le moindre détail d'un roman!), je le lirai avec plaisir plus tard, le sujet a l'air intrigant. Comme je suis peu l'actualité littéraire, je ne suis pas du tout au courant d'une quelconque polémique entourant ce livre.
RépondreEffacerJe t'admires car je n'ai pas encore le courage ni la force d'ouvrir ce roman!
RépondreEffacerTon questionnement est intéressant. L'extrait renvoie le lecteur à un miroir peu arrangeant, mais peut-on s'identifier à un tel personnage? Même si je sais que je dois avoir une part d'ombre aussi, je ne me mets pas à la place du "héros". sans doute suis-je présompteuse ...
Katell, pour ce qui est de l'identification au personnage principal, je ne te réponds pas tout de suite car je vais en glisser un mot dans mon billet final... :-)
RépondreEffacerj'hésite à me le procurer mais tu sembles l'apprécier... je vais me laisser tenter le mois prochain (pour cause d'achats de cds je suis déjà ruinée ;-)
RépondreEffacerSaab, sous toute réserve puisque j'ai tout juste dépassé la moitié... Mais malgré ma lenteur de lecture ces temps-ci, je devrais tout de même avoir fini d'ici la fin du mois!
RépondreEffacerLu en 3 semaines en sept-oct 2006. J'ai eu la chance de rencontrer J. Littell lors d'une dédicace, homme simple et charmant. J'en étais à la page 300. Cela restera dans ma mémoire. Les bienveillantes est un très grand roman. Rien que les 40 premières pages sont prodigieuses. C'est bien que vous fassiez autant de billets sur ce roman, il le mérite.
RépondreEffacerDasola, merci et je suis d'accord que ce roman mérite qu'on en parle, il y a certainement là matière à discussion!
RépondreEffacerLe temps passe et les lectures approfondies du roman de J. Littell relativisent les commentaires d'Edouard Husson et de Michel Terestchenko. Jean Solchany pour la recherche historique et Florence Mercier-Leca pour la littérature , et quelques autres , de plus en plus nombreux, ne considèrent plus « Les Bienveillantes» comme un canular . Sans reprendre les propos hyperboliques de certains ( Georges Nivat , Pierre Nora et bien d'autres ) ceux qui ont lu et relu le livre énonce les qualités de cet événement littéraire. Jamais en 60 ans , une oeuvre artistique n'a pu rendre sur ce sujet ( l'apocalypse européenne pendant la seconde guerre mondiale ) , à ce niveau d'incandescence , l'effet de Réel qui émerge de cette narration. Comme le dit Solchany c'est un roman qui réussit là où le cinéma n'a jusqu'à aujourd'hui pas totalement convaincu. Peu d'oeuvres littéraires ont contribué de manière aussi efficace au «devoir de mémoire». La fiction , le témoignage et le livre scientifique constituent 3 approches différentes et non concurrentes du nazisme et de l'extermination des juifs. Certains lecteurs ne semblent pas prêts à reconnaître la légitimité de la démarche fictionnelle, alors que cette dernière jouera à l'avenir un rôle croissant dans la prise de conscience de la monstruosité du nazisme.L'intervention des intellectuels dans le débat critique est indispensable, mais il y a des limites à l'expertise historienne. S'exprimer sur le rapport à la vérité lorsqu'il s'agit de littérature( ou de cinéma ) présuppose une grande prudence.Les historiens ne doivent pas ruiner leur crédit en souscrivant à un fondamentalisme hypercritique qui conduit à assassiner un roman qui ne mérite pas un tel traitement. « Les Bienveillantes» apparaissent comme un texte exigeant. Il sollicite diverses compétences du lecteur et pas seulement culturelles.
RépondreEffacerHé bien, merci de votre commentaire. Comme je suis peu l'actualité littéraire, je me demande en quoi ce roman a-t-il pu être considéré comme un canular...
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