30 mai 2009

Belle du Seigneur

La première phrase de Belle du Seigneur d'Albert Cohen est à mon avis digne de figurer au palmarès des meilleures premières phrases de roman de la littérature: «Descendu de cheval, il allait le long des noisetiers et des églantiers, suivi des deux chevaux que le valet d'écurie tenait par les rênes, allait dans les craquements du silence, torse nu sous le soleil de midi, allait et souriait, étrange et princier, sûr d'une victoire.» Quel rythme! 

Si j'ai été happée par cette entrée en matière, j'ai eu quelques hésitations par la suite. Les deux personnages principaux m'ont semblé tellement immatures au début du roman, de vrais ados attardés! Ariane avec ses divagations charmantes et amusantes, certes, mais qui auraient été plus à leur place dans la bouche d'une fillette de douze ans, et Solal qui se déguise en vieillard hideux pour tenter de séduire la belle, et qui lui crache presque au visage de dépit parce qu'elle ne lui tombe pas dans les bras, l'accusant de n'être attirée que par la beauté et la force virile! D'ailleurs lorsque plus loin elle lui fait remarquer son hypocrisie, lui-même l'ayant remarquée à cause de son apparence, il s'en tire par une entourloupette. 

En fait, ce sont d'abord les personnages secondaires qui m'ont accrochée: Adrien, le mari, petit fonctionnaire procrastinateur (je sais, cet adjectif n'existe pas, je l'invente et vous l'offre) et ambitieux, sa mère petite-bourgeoise médiocre et snobinarde, son père doux et zézayant, Mariette la vieille domestique et surtout les cinq oncles juifs excentriques de Solal, au langage alambiqué, pour qui le téléphone est «l'engin porteur des voix humaines» et un taxi un «carrosse mobile à vapeur intérieure, se mouvant seul mais payant et à horloge augmentante»! Ces derniers personnages sont d'ailleurs récurrents dans l’œuvre de Cohen, semble-t-il. 

Il y a bien quelques longueurs ici et là, notamment une trentaine de pages sans queue ni tête sur les grandeurs et misères du peuple juif, mais je me suis prise au jeu et j'ai voulu savoir comment allait finir cette histoire d'amour fou, de passion absolue, où les amants sont tout l'un pour l'autre et ne peuvent laisser paraître le moindre défaut, la moindre faiblesse, la moindre humanité. Le «ils vécurent heureux jusqu'à la fin des temps» des contes de fées est-il possible? En trame de fond, l'inadéquate Société des Nations et la montée de l'antisémitisme en Europe dans les années trente. 

L'écriture est élégante et très rythmée. J'ai particulièrement aimé les passages où l'on entre dans la tête des différents personnages pour suivre leurs pensées désordonnées, où souvent l'autocensure révèle plus que les mots, en de longs paragraphes presque sans ponctuation, sautant du coq-à-l'âne, d'une grande originalité pour l'époque. Telles phrases semblent d'abord incompréhensibles, ce n'est que plus tard qu'elles s'éclaireront. D'ailleurs il aurait été intéressant de relire le roman pour mieux saisir toutes les allusions, mais à plus de huit cents pages, on y pense deux fois... Certaines expressions un peu démodées sont tout à fait charmantes. Quel homme de nos jours oserait parler du syndrome prémenstruel comme de «l'arrivée du dragon féminin»? (J'espère que Gropitou ne lira pas ce billet, sinon il va me la ressortir chaque mois, celle-là!)  

Bref, je conclus mon défi Blog-o-trésors par une très belle découverte. Hé oui, c'était déjà mon quatrième titre tiré de la Méga-liste! Bilan plus que positif puisqu'un seul a été un peu décevant. Ça ne s'arrête pas là puisque plusieurs autres trésors se trouvent déjà dans ma PAL... Ont lu et commenté ce très beau roman: Lucile, Kalistina (qui s'est ennuyée), Sylvie, Thom (qui l'a piqué à la bibliothèque, c'est très vilain), Romanza...  

 

Belle du Seigneur d'Albert Cohen, publié chez Gallimard en 1968. 845 p.

12 mai 2009

Vous plaisantez, monsieur Tanner

Le billet enthousiaste de Charlie Bobine m'avait tout de suite fait penser au film The Money Pit (La Foire aux malheurs), avec Tom Hanks, racontant les péripéties d'un couple tentant de faire rénover une vieille maison. Relevant d'une pneumonie, c'était la première sortie que je faisais après ma guérison, et j'avais tellement ri que j'avais dû prendre un analgésique en plein milieu de la représentation, tant j'avais mal aux côtes!

Ce roman-ci, inspiré de faits vécus, est également très drôle, mais d'un humour français, donc plus caustique (et donc pas de raton-laveur dans le monte-plats, mais tant pis!). Il raconte les mésaventures d'un homme qui tente de restaurer la demeure dont il a hérité de son oncle. Nous faisons alors la connaissance d'une série d'ouvriers tous plus pittoresques les uns que les autres, à tel point qu'on dirait que les métiers de la construction en France ne sont peuplés que d'énergumènes, de l'hurluberlu sympathique au véritable bandit!

En plus, cela se lit très bien, grâce à des chapitres courts et à une écriture toute simple, qui convient bien au sujet. Parfait pour se mettre de bonne humeur, tant il est vrai (il faut bien se l'avouer) que rire du malheur des autres est souvent un excellent remontant!



Les billets de Google du Biblioblog et de Mme Patch.

Vous plaisantez, monsieur Tanner de Jean-Paul Dubois, publié aux Éditions de l'Olivier en 2006. 199 p.

05 mai 2009

Le Dzi

Qu'est-ce qu'un dzi? Hé bien, c'est le nom en wallon d'un petit lézard, vif comme l'éclair; et c'est aussi le surnom du personnage d'une des trois nouvelles contenues dans ce recueil, un footballeur zigzagant entre ses adversaires pour se faufiler jusqu'au but.

Justement, l'originalité des nouvelles de Pierre Popovic, c'est de combiner des mots tirés de différents dialectes: le joual québécois, le wallon, la langue d'Oc et même quelques-uns provenant d'une mystérieuse Valdavie (contrée qu'il a peut-être visitée en compagnie de Tintin?) Tous ces mots sont intégrés dans le texte comme s'il était tout à fait naturel de retrouver dans le même paragraphe des termes comme décalisser, clinche et escagasser. Le sens est en général facile à deviner, mais juste au cas, on trouve un glossaire à la fin du livre.

Il y a donc un côté ludique à ces nouvelles, qui contiennent par ailleurs quelques petits bijoux, par exemple: rire comme des fous dans un asile le jour de la tarte au sucre, que je me promets de réutiliser à la première occasion...

Les nouvelles elles-mêmes sont d'une bonne longueur (entre soixante et soixante-dix pages chacune). Je ne suis donc pas restée sur ma faim comme il m'arrive souvent avec ce genre littéraire. La première prend la forme de souvenirs d'enfance et raconte le choc que l'on peut ressentir à l'âge adulte lorsqu'on apprend un secret de famille... La deuxième contient certainement le plus beau passage sur le sport qu'il m'ait été donné de lire, transformant un match de foot en une saga épique et un footballeur en un véritable héros de légende... La troisième, enfin, qui m'a peut-être un peu moins touchée, relate la visite d'une institutrice de village à son ancienne mairesse, une femme assez spéciale, dans l'hôpital psychiatrique où elle est internée.


Le Dzi de Pierre Popovic, publié chez Fides en 2009. 165 p.

03 mai 2009

Pour une (petite) poignée de dollars...

C'était cette semaine le grand solde annuel des Amis de la Bibliothèque de Montréal... Comme ma PAL commence à avoir des dimensions impressionnantes, et que de plus mon rythme de lecture s'est ralenti ces derniers temps, j'avais décidé d'être sage cette année et de n'acheter que des livres qui me faisaient vraiment envie, et non des trucs «pour essayer»! Et le plus formidable de l'histoire, c'est que j'ai tenu parole!

Résultat:














Avis aux intéressés, ça finit aujourd'hui!

01 mai 2009

En inquiétante compagnie

Ce mois-ci le thème du Blogoclub était le Mexique, et nous avions choisi de lire un roman de Carlos Fuentes, L'Instinct d'Inez. N'ayant pas appris ma leçon depuis l'épisode Pauline de Dumas (j'avais dû me contenter du Chevalier de Maison-Rouge), je me dirigeai d'un pas guilleret vers la bibliothèque de mon quartier, forte de la certitude que le bouquin s'y trouvait quelques jours auparavant lorsque j'avais consulté le catalogue informatisé. J'ai, comme on dit, attrapé mon air, puisqu'un quidam (un autre membre montréalais du Blogoclub?) m'y avait devancé.

J'ai donc décidé de me rabattre sur un autre livre du même auteur. J'avais le choix entre Le Siège de l'aigle et En inquiétante compagnie. D'après les premières lignes de la quatrième de couverture, le premier semble être un roman d'anticipation; comme je viens d'en lire un, j'ai eu peur que cela ne soit un peu répétitif, et j'ai donc choisi l'autre. Ce n'est que rendue à la maison que je me suis aperçue qu'il s'agissait d'un recueil de nouvelles (ou plutôt, paraît-il, de récits, mais quelle est la différence? Y a-t-il une différence?). Zut, en général ce n'est pas mon style littéraire préféré. Enfin.

On dirait que dans un recueil de nouvelles, il y en a toujours qu'on aime plus que d'autres. C'est le cas ici aussi. Elles sont assez différentes les unes des autres, mais ont toutes une petite touche fantastique plus ou moins prononcée. J'ai trouvé que certaines avaient un peu tendance à s'en aller dans tous les sens, ce qui est à la fois une qualité et un défaut, puisqu'on ne sait jamais à quoi s'attendre mais que cela donne un effet un peu décousu, voire incohérent.


  • L'Amoureux du théâtre m'a donné le goût de retourner au théâtre (il y a bien une dizaine d'années que je n'y suis pas allée, quelle honte!) et de lire Hamlet.

  • Le début de La Chatte de ma mère ne m'a pas plu car le félin en question y est présenté sous un jour peu sympathique. Or je suis convaincue qu'il n'y a pas de mauvais chats, seulement de mauvais maîtres! Mais la tournure fantastique de la fin est surprenante.

  • En bonne compagnie est de loin ma nouvelle préférée. On y retrouve une atmosphère gothique de roman anglais du XIXe siècle, avec maison à l'ambiance fantomatique, vieilles tantes folles, servante sourde-muette, objets apparaissant mystérieusement, hallucinations... Le tout transposé dans le Mexique contemporain!

  • Calixta Brand m'a fait penser à un mélange entre Le Portrait de Dorian Gray et le film Lune de fiel de Roman Polanski (film que j'ai détesté)... Bof!

  • Malgré une bonne idée de départ, La Belle au bois dormant m'a semblé trop bizarre pour que j'y accroche vraiment.

  • Quant à Vlad, il s'agit, comme son nom le laisse deviner, d'une histoire de vampire, intéressante mais un peu longuette.
Donc une rencontre en dents de scie avec un auteur mexicain que le Blogoclub m'a permis de découvrir! Pas mauvais, mais il lui manque ce petit brin de folie que j'aime tant chez d'autres auteurs d'Amérique latine, que ce soit Marquez, Sepulveda ou Isabel Allende.


Pour découvrir les avis de tout un chacun sur L'Instinct d'Inez, il suffit de suivre les liens chez nos deux chouettes organisatrices Sylire et Lisa!

Nous avons aussi appris hier en quoi consistera notre lecture du premier juillet. Le thème suggéré était la famille, et le choix du club s'est porté sur Nous étions les Mulvaney, de Joyce Carol Oates. Ce sera encore pour moi l'occasion d'une découverte, puisque je n'ai jamais rien lu de cette auteure prolifique.


En inquiétante compagnie de Carlos Fuentes, traduit de l'espagnol (Mexique), publié chez Gallimard en 2007. 311 p. L'original, Inquieta compañia, date de 2003.