
Anne Coleman nous raconte ici les étés de son adolescence à North Hatley (dans les Cantons de l'Est, au Québec), où ses parents, bourgeois aisés de Toronto, avaient un chalet au bord du lac Massawippi, et décrit la relation complexe qu'elle eut alors avec le célèbre écrivain canadien-anglais Hugh MacLennan (Two Solitudes). J'aurais sans doute apprécié encore plus ce récit si j'avais déjà lu un seul bouquin de cet auteur (MacLennan) qui est devenu un classique, mais je dois avouer avec un peu de honte une profonde méconnaissance de la littérature anglo-canadienne. Mes remords sont toutefois grandement atténués par la certitude que cette ignorance est réciproque. Je suis convaincu que le Canadian moyen serait incapable de nommer un seul écrivain québécois. Two solitudes indeed...
J'ai néanmoins beaucoup apprécié ces mémoires. La relation de l'adolescente avec l'écrivain, de presque trente ans son aîné, une amitié mutuelle doublée de part et d'autre d'un amour inexprimable parce qu'inacceptable, renforcée par une passion mutuelle pour la littérature et la musique, cette relation, donc, est décrite avec beaucoup de subtilité et de finesse, dans une langue d'une grande clarté et d'une fluidité reposante après le style plus ardu de ma lecture précédente. En même temps, elle est capable de jeter un regard critique sur cet homme pour lequel elle avait une grande admiration, n'hésitant pas à relever ses idées rétrogrades (qu'il faut bien sûr replacer dans leur contexte -- le récit se déroule dans les années 1950) sur le pouvoir des femmes en général et sur les femmes écrivains en particulier.
Je me suis toute à fait reconnue dans cette jeune fille, il me semble que vingt-cinq ans plus tard j'ai eu les mêmes interrogations sur la sexualité, la maternité, la place des femmes dans la société, etc. Et lorsqu'elle décrit avec sensualité les plaisirs de l'été (faire du canot sur un lac tranquille, s'étendre dans l'herbe au soleil...) cela m'a rappelé plein de souvenirs ensoleillés (qui sont les bienvenus avec le temps moche que nous avons ces temps-ci!).
(***Si vous avez l'intention de lire Jane Eyre, sautez ce paragraphe, un élément de l'intrigue y est révélé!***) J'ai remarqué aussi que de nombreuses allusions sont faites aux classiques de la littérature anglaises, notamment Jane Eyre mais aussi souvent Austen ou encore Tess of the d'Ubervilles de Thomas Hardy, ici comme dans d'autres romans lus ces derniers mois, et ce, souvent sans que le titre en soit mentionné clairement. On compare par exemple un personnage à «la première Mme Rochester», sans autre forme d'explication. Je me demande combien de ces références me passaient dix pieds par-dessus la tête avant que j'aie lu ces romans, et combien d'autres m'échappent encore parce que ma connaissance des classiques est pour le moins fragmentaire, tant du côté anglophone que francophone...