J'ai bien failli ne pas accrocher du tout à ce roman! Dans les premiers chapitres, j'ai retrouvé la même ambiance que dans La Liste de mes envies de Grégoire Delacourt, sauf qu'on se trouve dans un salon de coiffure au lieu d'une mercerie. Or, je n'ai jamais compris tout le houpla qu'on a fait autour de ce livre-là, que j'ai trouvé franchement moyen.
C'est lorsqu'un client oublie son exemplaire de Du côté de chez Swann au salon de coiffure et qu'enfin «Clara lit Proust», qu'un déclic s'est produit et que mon intérêt a été décuplé. L'intrigue en elle-même reste assez classique: Clara mène une vie peu satisfaisante auprès d'un copain qu'elle ne désire plus et d'un chat qui l'ignore, et son travail est peu stimulant; sa vie sera changée par l'expérience de la lecture, par les nouvelles rencontres que celle-ci provoquera. Le thème du pouvoir de la littérature de nous ouvrir l'esprit et le cœur, de nous faire comprendre qu'une autre vie est possible, est fort bien exploité ici, mais remplacez Proust par n'importe quelle autre forme d'art et vous pourrez constater que ce n'est quand même pas d'une grande originalité.
Non, ce que j'ai adoré, ici, ce sont les références à l’œuvre elle-même, les citations, les clins d’œil, les discussions entre passionnés de La Recherche. On sent que l'auteur est fan de Proust, appréciant autant ses qualités que ses défauts et ses petites manies, et il sait parfaitement partager son amour. Au point qu'il m'a donné envie de relire cette œuvre gigantesque (moi qui relit rarement), ou à tout le moins de me la procurer en version papier pour pouvoir la feuilleter, relire des passages au hasard (le feuilletage sur liseuse, c'est moins ça!).
Je ne crois pas que je recommanderais ce roman à qui n'a pas lu au moins le tome 1 de La Recherche. Parce que non seulement vous allez vous le faire divulgâcher mais en plus toutes les références vont vous passer dix pieds par-dessus la tête. Mais qui sait? Peut-être vous donnerait-t-il le petit coup de pied au derrière nécessaire pour vous lancer enfin? À vous de voir.
Je vous laisse avec deux petites citations:
«Elle a lu quoi, douze pages, et elle sait déjà comment ça va marcher entre eux. À elle de s’accrocher, de continuer à avancer, souvent dans le brouillard, parfois dans le noir, de ne pas se formaliser de ses phrases à tiroir et de ses imparfaits du subjonctif, de se munir de patience et,s’il le faut, d’un dictionnaire. À lui, en retour, à intervalles réguliers, chaque fois qu’elle s’y attend le moins, de l’éblouir.
Plus elle le lit, mieux elle le comprend. Il n’emploie pas de mots compliqués, c’est juste que ses phrases, souvent, vont voir ailleurs. Une fois qu’elle le sait, qu’elle a compris qu’il ne l’abandonne pas mais reviendra la chercher, ça va tout seul.»
«Proust, ce n’est pas difficile, c’est différent.
Mais bon, il pourrait quand même aller à la ligne plus souvent.»
Clara lit Proust de Stéphane Carlier, 2022, 192 p.