29 février 2012

Lady Susan

Un très court roman épistolaire, oeuvre de jeunesse de notre amie Jane mais publié de façon posthume, qui raconte les manigances d'une veuve pour épouser un jeune homme riche tout en continuant de fréquenter un homme marié.  La construction est originale, de même que le fait que l'héroïne est parfaitement antipathique, ce en quoi elle diffère des personnages principaux habituels de Mme Austen, qui ont toujours un côté attachant malgré leurs défauts (qu'on pense à Emma par exemple, ou à certains personnages secondaires comme Mrs Bennett dans Orgueil et préjugés).  J'ai trouvé amusant que d'une lettre à l'autre on ait une vision différente des événements selon le point de vue de chaque narrateur.  Par contre, les personnages m'ont semblé un peu caricaturaux, et la fin abrupte (où le style épistolaire est abandonné) plutôt malhabile.  De plus, l'écriture est beaucoup moins fine, moins élégante que d'habitude.  (Évidemment ce qui n'a pas aidé à ce niveau c'est une certaine quantité de coquilles dans l'édition numérique que j'ai téléchargée.  Est-ce toujours ainsi lorsqu'on télécharge des oeuvres numérisées libres de droit?)

Donc, à lire par curiosité mais sans s'attendre à un chef-d'oeuvre.



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Lady Susan de Jane Austen, écrit autour de 1794 mais publié de
façon posthume en 1871, 108 p.  Le titre de la traduction française est le même qu'en anglais.

28 février 2012

N'espérez pas vous débarrasser des livres

Dans les commentaires de mon billet sur Le Maître de Garamond, une lectrice fidèle me demandait si ce livre pouvait être un complément à ceux d'Alberto Manguel sur l'histoire de la lecture et des bibliothèques.  Dans ce cas-là, la réponse était plutôt non, mais ce qualificatif pourrait très bien s'appliquer à cette série d'entretiens entre le scénariste français Jean-Claude Carrière et l'écrivain italien Umberto Eco, tous deux bibliophiles passionnés.

Le prétexte: le numérique signe-t-il la mort du livre imprimé? La réponse des deux intellectuels est donnée dans le titre et développée dans les premiers chapitres. À partir de là, on s'en va dans tous les sens, pour notre plus grand bonheur. Il sera question de manuscrits anciens, des Aztèques, d'Internet, de religion, de Buñuel, de censure, de bêtise et de bien d'autres choses encore. Tout ça avec une grande érudition et beaucoup d'humour.

Un extrait (au sujet d'Athanasius Kircher, jésuite allemand du XVIIe siècle ayant publié plusieurs traités sur des sujets très diversifiés):
«Il aura donc touché à tous les domaines de la connaissance de son temps.  On pourrait dire de Kircher qu'il est une sorte d'Internet avant la lettre, c'est-à-dire qu'il savait tout ce qu'on pouvait savoir, et dans ce savoir il y avait 50% d'exactitude et 50% de fausseté, ou de fantaisie.  Proportion qui est à rapprocher, peut-être, de ce que nous pouvons consulter sur nos écrans.  En ajoutant tout de même, et c'est aussi pour cela que nous l'aimons, qu'il avait imaginé un orchestre de chats (il suffisait de tirer sur leurs queues) et une machine à nettoyer les volcans. Il se faisait descendre dans une grande corbeille au milieu des fumées du Vésuve, soutenu par une armée de petits jésuites

J'ai aussi appris quelques nouveaux mots.  Note à moi-même: tenter de les placer dans la conversation lors d'un prochain souper entre copines, question de renforcer ma réputation de joyeuse luronne.
  • Antiphonaire: recueil de chants sacrés utilisant la notation grégorienne.
  • Boustrophédon: écriture primitive allant de gauche à droite puis de droite à gauche comme les sillons d'un champ.
  • Incunable: ouvrage imprimé datant des premiers temps de l'imprimerie.

Voilà qui remonte drastiquement le niveau intellectuel de ce blogue, non? Je me demande cependant si boustrophédon va m'attirer autant de googleux que, mettons, grosses fesses ou vampire...


N'espérez pas vous débarrasser des livres de Jean-Claude Carrière et Umberto Eco, 2009, 330 p.

23 février 2012

The Road (La Route)


Je classe ce livre magnifique sous l'étiquette «Science-fiction». Je n'ai pas le choix: le roman post-apocalyptique est un sous-genre bien établi de la SF, et The Road en constitue déjà, je crois, une oeuvre de référence. Je croise les doigts et je prie très fort la déesse de la lecture que ce terme ne fera pas fuir ceux qui redoutent ce genre comme la peste.

En fait, j'ai l'impression plutôt que les vrais amateurs de SF, eux, pourraient  être déçus, notamment à cause du manque de détails sur l'événement apocalyptique lui-même.  On se situe plusieurs années plus tard, la terre est couverte de cendre et de suie, mais on ne sait même pas s'il y a eu une catastrophe nucléaire, une guerre ou un désastre naturel soudain.

Ce roman est avant tout une merveilleuse histoire d'amour entre un père et son fils.  Car on saisit bien que, sans la présence de ce petit garçon, il y a bien longtemps que cet homme se serait laissé mourir. Mais il est là, cet enfant, seule source de lumière dans la grisaille, et lui procurer nourriture et chaleur, le protéger des barbares cannibales devient la seule raison de continuer, heure après heure, sans savoir s'il y aura un jour autre chose.

C'est aussi un chef-d'oeuvre d'écriture.  Les mots sont tellement évocateurs qu'on se retient de plisser les yeux pour les protéger de cette étrange lumière du soleil filtrée par les nuages de fumée et de cendre qui cachent maintenant le ciel en permanence.  Cette cendre, on la respire et on la goûte dans la moindre gorgée d'eau. On tremble pour ces deux personnages qui n'ont même pas de prénom. On a peur comme eux d'oublier le nom des couleurs, à part l'orange du feu qui perce parfois la grisaille.

J'ai particulièrement aimé les longues phrases ponctuées de conjonctions répétées comme dans une litanie, une invocation:
«Out on the roads the pilgrims sank down and fell over and died and the bleak and shrouded earth went trundling past the sun and returned again as trackless and as unremarked as the path of any sisterworld in the ancient dark beyond.»
Des images qui me resteront en tête longtemps...


The Road de Cormac McCarthy, 2006, 241. titre de la version française: La Route.

10 février 2012

Le Maître de Garamond

Voici un roman réservé exclusivement aux amateurs d'Histoire.  Un style un peu lourd et de nombreuses longueurs rebuteront le lecteur lambda.  Les purs et durs apprécieront la description du contexte historique et le sujet original: le rôle joué par les imprimeurs dans la révolution du Savoir qui suivit l'invention de l'imprimerie.  Cunéo décrit fort bien la frénésie qui s'empara des «savants» (dans le sens d'érudits), la soif de lire, de partager, la panique des théologiens qui voyaient leur monopole disparaître avec cette démocratisation de la connaissance, la censure et la répression qui s'ensuivit, la montée du Protestantisme...  Aussi, on parle souvent du rôle des imprimeurs et des libraires dans cette révolution, mais bien peu de celui, pourtant crucial, des graveurs de caractères. En effet, si la lecture a pu devenir accessible à tous, c'est en bonne partie grâce à ces artisans qui, comme Claude Garamond et son maître Antoine Augereau, ont saisi l'importance d'une police plus lisible que celle utilisée jusque-là, inspirée de l'écriture gothique des manuscrits médiévaux. Passionnant, si on arrive à s'accrocher!


Le Maître de Garamond d'Anne Cunéo, 2003, 505 p. dont de nombreux appendices.