17 avril 2021

Toute la chaleur du Nord

Encore une fois, Maryse Rouy nous offre un roman historique tout à fait charmant.  Après le Moyen-âge ou la Seconde Guerre mondiale, entre autres, nous nous retrouvons maintenant dans les années trente, durant la Grande Dépression, donc, et dans un décor fort original: un wagon-école sillonnant le nord de l'Ontario pour apporter les bienfaits de l'éducation aux enfants des mineurs, cheminots et bûcherons éparpillés dans la région.  Aux commandes de cette école peu banale, une jeune femme dégourdie remplaçant son mari atteint de tuberculose et hospitalisé dans un sanatorium.

On suit en parallèle les péripéties vécues par ces deux personnages pendant un an.  J'ai craint un moment qu'il y ait un côté répétitif entre le journal du mari et les lettres envoyées à sa femme, mais ce ne fut pas le cas, car, pour ne pas l'inquiéter, il relate des versions différentes des événements et des conditions de vie au sanatorium.  Quant à l'atmosphère du wagon-école, elle me rappelle celle d'un livre que j'ai lu et relu à l'adolescence, Ces enfants de ma vie de Gabrielle Roy, qui se déroule à la même époque mais dans une école immobile cette fois! 

Ces écoles sur rails ont vraiment existé et j'ai adoré découvrir leur fonctionnement, de même que la vie au sanatorium. Et comme c'est toujours le cas avec cette auteure, les personnages sont attachants et la plume est à la fois limpide et minutieuse.  Je recommande! 

 

Toute la chaleur du Nord de Maryse Rouy, 2020, 256 p.


05 avril 2021

Mon frère

Il n'y a qu'un écrivain de la trempe de Pennac pour arriver à un équilibre aussi parfait entre des émotions contradictoires: la tristesse, le rire.  Tristesse, car il nous dresse le portrait de son frère décédé quelques années plutôt à la suite d'une erreur médicale.  Rire, car le frère en question était un sacré morceau, qui avait la répartie facile et un humour à toute épreuve.  Il n'a pourtant pas eu une vie facile.  Apprenant par exemple qu'il est atteint de la maladie de Parkinson, il s'exclame: «Ma femme voulait que je me secoue, elle va être servie!» 

Passant d'une époque à l'autre, Pennac nous raconte diverses anecdotes, tentant de cerner, sans y arriver vraiment, la personnalité insaisissable de son frère.  Les seules certitudes qu'il a, c'est leur affection mutuelle et l'immense manque qu'il ressent depuis sa disparition.  

En parallèle, Pennac rend hommage au théâtre en nous parlant de la pièce qu'il a montée et jouée en solo à partir de la nouvelle Bartleby le scribe de Melville, nouvelle que son frère avait beaucoup appréciée.  On retrouve d'ailleurs de nombreux extraits de cette nouvelle, fort intéressante (mais si vous aviez l'intention de la lire, faites-le avant de lire ce livre-ci car la fin y est révélée!).  

Un récit magnifique, original, drôle, touchant, intelligent, en petites touches impressionnistes.  Je recommande!


Mon frère de Daniel Pennac, 2018, 140 p.

03 avril 2021

L'Empire invisible

Je suis une auditrice fidèle de La Balado de Fred Savard (le féminin est de lui, je précise) et c'est là que j'ai découvert Mathieu Bélisle, dont j'apprécie énormément les chroniques à la fois érudites et drôles.  Et comme en plus je m'intéresse à la politique américaine, c'est avec empressement que j'avais réservé en prêt numérique cet essai paru l'an dernier: L'Empire invisible, essai sur la métamorphose de l'Amérique

La première partie est passionnante.  Bélisle y démontre comment les États-Unis sont en train de conquérir le monde, sans fusils ni bombes, par la force de leur culture et de leur économie, et que de cette conquête nous sommes les victimes consentantes ou inconscientes.  Il y est bien sûr question de Trump mais aussi des attentats du 11 septembre, de l'élection d'Obama, des réseaux sociaux et de bien d'autres choses. 

Par contre, j'ai trouvé qu'en deuxième partie, on s'éparpillait et que ça devenait un peu fourre-tout.  Les chapitres sur #MoiAussi et sur la pornographie, notamment, sont sans doute intéressants en eux-mêmes mais comme je passais mon temps à chercher le fil rouge qui aurait pu les rattacher au reste, j'ai surtout ressenti de l'agacement.  On dirait que l'auteur a tenté de mettre bout à bout différents essais écrits séparément!

Un petit extrait, tiré du chapitre L'anticonformisme comme nouveau conformisme, montre bien le ton de Bélisle:

Je pense à Justin Trudeau, premier ministre canadien, dont l'élégance et la gentillesse en font en apparence tout le contraire de Trump, mais qui propose en réalité une version amène et souriante de la même anhistoricité, de la même artificialité, lui qui s'empresse de revêtir les costumes folkloriques venus des quatre coins du monde, sans trop d'égard pour le contexte (un peu comme les Dupont et Dupond dans Tintin), des costumes qu'il arbore comme autant de simulacres, comme autant de versions possibles de lui-même, sans bien voir que ces déguisements témoignent moins de la volonté d'aller à la rencontre de l'autre que du désir éminemment actuel de libérer cet autre du poids de son histoire. (p.104)
Bref, un essai qui mérite d'être lu, quitte à passer plus rapidement sur certaines sections si vous désirez vous en tenir au sujet principal!

 

L'Empire invisible, essai sur la métamorphose de l'Amérique de Mathieu Bélisle, 2020, 208 p.