11 juin 2010

La Bibliothèque la nuit

Encore une fois, Alberto Manguel, dont l'érudition n'a d'égale que son talent de vulgarisateur, nous fait partager son amour des livres et des maisons qui les hébergent, de l'antique bibliothèque d'Alexandrie à sa propre bibliothèque dans une ancienne grange poitevine.

Si les chapitres sur les différentes méthodes de catalogage des livres m'ont intéressée d'un point de vue intellectuel, je ne me suis pas sentie concernée personnellement, car je suis peu attachée aux livres en tant qu'objets de collection. La plupart des bouquins, même ceux que  j'ai beaucoup aimés, ne font pas long feu chez moi, à moins que je pense les relire (c'est rare) ou avoir à m'y référer lors d'autres lectures.  Cette attitude est peut-être due à toute une vie de fréquentation des bibliothèques municipales et scolaires comme source principale d'approvisionnement...

En fait, j'adorerais avoir une pièce remplie de livres et aménagée pour la lecture, mais ce serait plus pour son ambiance que pour y entreposer les livres déjà lus. D'ailleurs, idéalement les étagères contiendraient presque exclusivement les livres que j'ai envie de lire, et se renouvelleraient au fur et à mesure!

J'ai été plus touchée par les chapitres sur la relation entre les humains et les livres. Certains passages sont amusants, comme celui (à la fois drôle et poignant) racontant cette expérience vécue il y a une vingtaine d'années par des bibliothécaires colombiens se promenant à dos d'âne pour prêter des livres aux paysans dans les contrées les plus reculées (en comparaison, le bibliobus de Jacques Poulin, c'est le grand luxe!). Les livres devaient être rendus après un prêt de trois semaines, en échange d'un nouveau lot.
«Je n'ai connu qu'une occasion où un livre n'a pas été retourné, m'a-t-elle raconté. Nous avions pris, en plus des habituels titres pratiques, une traduction en espagnol de L'Iliade. Quand le moment est venu de l'échanger, les paysans ont refusé de le rendre.  Nous avons décidé de leur en faire cadeau, mais nous leur avons demandé pourquoi ils voulaient garder ce titre-là en particulier. Il nous ont expliqué que le récit d'Homère reflète exactement leur histoire: il y est question d'une contrée déchirée par la guerre, où des dieux fous et capricieux décident du sort d'êtres humains qui ne savent jamais très bien pourquoi on se bat ni quand ils seront tués.»
Émouvant aussi, le cas des prisonniers des camps de concentration se passant en douce quelques livres cachés (H.G.Wells, Thomas Mann), prisonniers pour qui la lecture était à la fois un réconfort et un acte de résistance.

Le récit des autodafés commis par les nazis m'a fait grincer des dents, tout comme celui du pillage de la bibliothèque de Bagdad (qui contenait des manuscrits anciens d'une valeur inestimable) par la population profitant du chaos causé par l'invasion américaine.  Mais la pire perte pour l'humanité est peut-être la destruction systématique des bibliothèques et des archives mayas et aztèques par les envahisseurs espagnols, vouant ces cultures à un oubli presque total.

Sur un mode plus léger, j'ai apprécié aussi le chapitre concernant les bibliothèques imaginaires et les livres qu'elles contiennent, fantasmés mais jamais écrits.  Rabelais, dans son fameux Pantagruel, avait imaginé un catalogue long de cinq pages, comprenant des titres aussi folichons que La Bedondaine des Présidens ou encore Apologie d'iceluy contre ceux qui disent que la mule du pape ne mange qu'à ses heures.  Dickens s'était prêté au jeu également, allant même jusqu'à créer de faux volumes sur lesquels étaient inscrits les titres les plus farfelus: Guide du sommeil réparateur (tomes I à XIX), Catalogue des statues célébrant le Duc de Wellington en dix volumes, etc.

Un essai captivant, donc, autant par ce qu'on y apprend que par les réflexions qu'il engendre. Nous, Occidentaux choyés, ne prenons-nous pas la lecture pour acquise, la considérant comme un passe-temps (un passe-temps qui nous passionne, certes, mais on trouve aussi des passionnés de danse sociale, de patin à roulettes...)?  En d'autres temps, en d'autres lieux, elle fut et reste un acte de rébellion contre la tyrannie, contre l'oubli.


Les billets de Louis, de Bellesahi, de Florinette, de Chimère...


La Bibliothèque la nuit d'Alberto Manguel, traduit de l'anglais, Actes Sud/Leméac, 2006, 335 p. Titre de la version originale: The Library at Night.

11 commentaires:

  1. J'aime beaucoup ta conclusion.

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  2. Bon, faut vraiment que je le lise celui-ci, tu donnes envie...

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  3. Il est sur ma liste depuis un bon moment... J'avais été admirative devant son Histoire de la lecture. Je devrais lire celui-ci bientôt, ton billet me donne envie...

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  4. Gwenaelle: Merci! C'est un livre qui fait réfléchir...

    Bladelor: Mets-le sur le dessus de ta PAL!

    Allie: Tu devrais l'aimer, c'est tout à fait dans la même veine que son Histoire de la lecture!

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  5. oui, oui, je note, je note!!

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  6. Il est dans la bibliothèque avec deux autres Manguel. Bientot les vacances, on va pouvoir dégonfler la PAL (optimiste béat)

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  7. Je l'avais déjà répéré, mais ton avis me donne envie de m'y plonger rapidement ! En plus, je pense que nous l'avons acquis dans la bibliothèque où je travaille.

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  8. Jules: J'espère que tu vas aimer!

    Le Mérydien: bonne lecture et bonnes vacances!

    Bookophiles: Un livre sur les bibliothèques, c'est logique de l'emprunter à la bibliothèque!
    :-D

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  9. Dans ma PAL, son tour viendra !!!!

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  10. Je l'ai déjà noté bien sûr :) Je ne vois pas le livre en tant qu'objet de collection (dans le sens objet précieux) mais j'ai du mal à me séparer des miens ... d'où l'envahissement inexorable de notre maison par des piles de livres :) Mais bon, sous certains aspects, ma "collection" rejoint tes goûts car il y en a un certain nombre (et non négligeable) qu'il me reste à lire !

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  11. Freude: Bonne lecture!

    Joëlle: Gropitou a des tonnes et des tonnes de livres, principalement des livres de référence sur les sujets qui l'intéressent, c'est pourquoi je ne peux me permettre de garder trop des miens, on ne saurait plus où s'asseoir! J'essaie donc de garder ma PAL à une dizaine de livres: quand elle augmente trop je ne me donne plus le droit d'aller à la bibli tant qu'elle n'a pas baissé!

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