11 avril 2017

La Prisonnière

(À la recherche du temps perdu, tome 5)

Le thème de ce cinquième tome est la jalousie et l'amour possessif (ce qui explique le titre!).  Drôle d'amour, en fait, que celui qu'éprouve le narrateur (Proust s'échappe une fois à l'appeler Marcel, ce qu'il avait méticuleusement évité dans les tomes précédents!) pour Albertine: quand il pense qu'elle va le quitter ou le tromper, il est fou de douleur, prêt aux pires bassesses; quand au contraire il la sent docile, il s'en désintéresse, rêvant à des voyages à Venise, à des inconnues aperçues par la fenêtre.  Quant à Albertine, ses sentiments pour lui restent un mystère!  Nous seront-ils dévoilés un jour?  C'est ce que nous saurons peut-être dans le prochain épisode!  Épisode que j'ai déjà hâte de découvrir, en partie à cause des annonces de calamités à venir que Proust glisse habilement ici et là, comme dans le tome précédent.

Ce que j'aime par dessus tout chez Proust, ce sont ses descriptions de petits détails quotidiens qui deviennent évocateurs, lourds de sens.  Par exemple, la lumière de la chambre d'Albertine filtrant à travers les fentes des volets en vient à former sous nos yeux les barreaux dorés de sa prison!

Un extrait où Proust nous parle de ce que l'art peut accomplir (Vinteuil et Elstir sont un compositeur et un peintre fictifs):
Mais alors, n’est-ce pas que, de ces éléments, tout le résidu réel que nous sommes obligés de garder pour nous-mêmes, que la causerie ne peut transmettre même de l’ami à l’ami, du maître au disciple, de l’amant à la maîtresse, cet ineffable qui différencie qualitativement ce que chacun a senti et qu’il est obligé de laisser au seuil des phrases où il ne peut communiquer avec autrui qu’en se limitant à des points extérieurs communs à tous et sans intérêt, l’art, l’art d’un Vinteuil comme celui d’un Elstir, le fait apparaître, extériorisant dans les couleurs du spectre la composition intime de ces mondes que nous appelons les individus, et que sans l’art nous ne connaîtrions jamais ? Des ailes, un autre appareil respiratoire, et qui nous permissent de traverser l’immensité, ne nous serviraient à rien, car, si nous allions dans Mars et dans Vénus en gardant les mêmes sens, ils revêtiraient du même aspect que les choses de la Terre tout ce que nous pourrions voir. Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est ; et cela, nous le pouvons avec un Elstir, avec un Vinteuil ; avec leurs pareils, nous volons vraiment d’étoiles en étoiles.

Enfin, un petit avertissement, il y a vers la fin deux ou trois pages pleines de divulgâcheurs sur Crimes et Châtiments et Les Frères Karamazov de Dostoïevski.  Moi qui pensais justement renouer avec cet écrivain pour mon défi de lecture de l'an prochain (en passant, cette année ce sera Moby Dick, restez à l'écoute, c'est pour bientôt!), après un premier essai peu concluant -- Crime et Châtiment, trop noir pour moi mais j'étais très jeune quand je l'ai lu -- j'hésitais entre Les Frères K. et L'Idiot, Proust a choisi pour moi, ce sera ce dernier titre, si le projet se concrétise!


La Prisonnière (À la recherche du temps perdu, tome 5) de Marcel Proust, 1923, 465 p.

4 commentaires:

  1. Je n'en suis aps encore à ce tome mais qu'est-ce que j'ai aimé les trois premiers :-)

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    1. Ah oui? Je croyais que comme Karine tu avais déjà fini la série!

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  2. Un livre qui attend dans ma PAL depuis des lustres. Je ne sais pas si je vais m'y mettre un jour...

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