23 février 2010

Le Lion

Je n'en reviens tout simplement pas: chez Gallimard (et dans plusieurs blogues visités) on présente ce livre comme un roman jeunesse? À partir de 11 ans, nous dit l'éditeur. Hé bien moi, si j'avais lu ce bouquin à 11 ans, il y a des grands bouts que je n'aurais pas compris, et d'autres qui m'auraient traumatisée par leur violence.

Ceci dit, cela reste un roman formidable. La description de l'Afrique et de sa nature est d'une grande beauté. Les thèmes abordés sont universels. Une famille dont les membres s'aiment d'un amour passionné, sont incapables de se séparer mais forcément malheureux ensemble. La fin du colonialisme, la redéfinition des relations entre les Blancs et les Africains. Et surtout l'amour entre une petite fille et la Nature qui l'a vue grandir, symbolisée par ce lion qu'elle a apprivoisé, alors qu'elle entre dans l'adolescence et découvre la jalousie et un pouvoir de séduction qui la dépasse...

Vraiment un très beau roman. Seulement, je vais attendre quelques années avant de l'offrir à ma nièce, pour qui je l'avais acheté au départ... Est-ce que je me fais des illusions de vieille tante sur la jeunesse d'aujourd'hui? Si vous avez lu ce livre, j'aimerais bien vos commentaire sur cette question.


Les billets de Karine, Kali, Cryssilda,... enfin, il y en a trop!


Le Lion de Joseph Kessel, Gallimard 1958. Édition illustrée ici: Gallimard/Folio, 1977, 251 p.

18 février 2010

L'Oracle della Luna

Roman de cape et d'épée, histoire d'amour, leçon d'Histoire, récit de voyage autour de la Méditerranée, parcours initiatique, discussions théologiques et philosophiques sur le Destin et le libre arbitre et explorant les trois grandes religions occidentales, théories sur l'astrologie assez bien développées pour à tout le moins soutenir l'intérêt d'une sceptique comme moi... C'est un peu tout ça qu'on retrouve dans ce roman historique se déroulant au début du XVIe siècle alors que Luther vient d'ébranler les fondements de l'Église catholique. Si j'ai trouvé l'écriture de Lenoir sans grande originalité, cela a au moins l'avantage de laisser toute la place à la narration, qui nous fait visiter la Venise des Doges, les monastères orthodoxes grecs, et d'autres lieux tout aussi exotiques! Un excellent thriller historico-mystico-etc, très divertissant, intelligent et plein de rebondissements.



Les billets de Laurence du Biblioblog et de So.


L'Oracle della Luna de Frédéric Lenoir, publié chez Albin Michel/Livre de Poche en 2006. 728 p.

08 février 2010

The Prince of Tides

(Titre en français: Le Prince des marées. )
(Ça c'est pour ma lectrice fidèle Vieux Chagrin qui fait la baboune et va voir ailleurs lorsqu'elle aperçoit seulement un titre en anglais!)

Le début me rappelait quelque chose: deux jumeaux dont l'un est interné pour schizophrénie, et l'autre qui raconte leur enfance au sein d'une famille dysfonctionnelle au psychiatre chargé du cas, j'ai vu ça dans I Know This Much Is True de Wally Lamb. Heureusement, à part ce point de départ semblable, les deux romans sont assez différents pour qu'on arrête vite de les comparer.

Le vrai tour de force de Pat Conroy, c'est de nous faire aimer tous les personnages à un moment donné, même si quelques pages plus tôt on les détestait. Même le père violent, même la mère mythomane. On comprend pourquoi ils sont ainsi et on éprouve une grande compassion pour eux. Une seule exception, un personnage qui fait office de Grand Méchant Loup, d'Ogre de contes de fée, le Mal incarné qui signale la fin de l'enfance. Quelques personnages secondaires loufoques viennent alléger l'atmosphère quand il le faut.

J'ai apprécié la construction du récit, l'intrigue qui se dévoile peu à peu en nous donnant des indices puis nous les faisant oublier, au cours des allers-retours entre le passé et le présent, entre New York et la Caroline du Sud. Car ces deux lieux prennent une grande importance, surtout les marais d'eau salée de la petite ville de Colleton, que l'auteur décrit de façon si magnifique qu'on a envie de tout lâcher pour devenir pêcheur de crevettes dans les chenaux ensoleillés. Apprécié aussi cette alternance de scènes dramatiques ou violentes et d'autres très amusantes ou belles, avec des dialogues toujours spirituels. Un très bon moment de lecture!


Je suis sans doute la dernière de la blogosphère à lire ce roman! Quelques billets, ceux de Karine, Restling, Jules, Cuné, Amanda, Fashion...


The Prince of Tides de Pat Conroy, Houghton Mifflin Company, 1986. 567 p.

04 février 2010

Lire à l'école

Bob August m'a devancée; comme moi il a lu l'article du journal La Presse du samedi 30 janvier intitulé Lectures scolaires: Kafka ou Twilight? Ma première réaction: n'y a-t-il pas un juste milieu entre ces deux extrêmes? Alexandre Dumas, Réjean Ducharme? Michel Tremblay ne devrait-il pas être un incontournable dans nos écoles? Reste que la question soulevée par ce dossier (lisez aussi les autres articles, les liens sont fournis au bas du premier) est fort intéressante. Devrait-on imposer aux élèves des lectures plus faciles (par exemple la série des Harry Potter, Amos Daragon, ou même des bandes dessinées!) pour les encourager à lire, ou au contraire leur faire découvrir des auteurs vers lesquels ils n'iraient pas spontanément? Je pencherais vers un mélange des deux options, soit des oeuvres plus faciles pour les 12-13 ans, et plus exigeantes par la suite. Le ministère de l'Éducation ne veut pas imposer de titres, laissant carte blanche aux enseignants; c'est compréhensible, mais il me semble que certains écrivains devraient être obligatoires, question de se donner une base culturelle commune.

«Dans mon temps» (dit avec une voix chevrotante de vieille matante), il me semble qu'on se consacrait surtout à la littérature québécoise. Au secondaire, je me souviens notamment du Torrent d'Anne Hébert, d'Agaguk de Thériault et de Poussière sur la ville de Langevin, que j'avais trouvé déprimant mais qui avait donné lieu à un débat animé en classe sous la forme d'un procès avec juge, avocats, témoins, etc. Une bonne idée de notre professeur pour rendre la littérature plus vivante, plus incarnée. Comme j'avais choisi l'option français-théâtre en secondaire 5, je garde un souvenir ému de Salut Galarneau! de Jacques Godbout, que nous avions aussi vu joué au Théâtre Denise-Pelletier avec un Serge Thériault inoubliable dans le rôle principal (au fait, les écoliers vont-ils encore au théâtre?). Au CÉGEP, on continuait dans la même veine avec Le Survenant de Guèvremont, Maria Chapdelaine d'Hémon, Bonheur d'occasion de Gabrielle Roy...

Pour ce qui est de la littérature française et étrangère, il me semble que c'est là que le bât blessait. Je ne me souviens pas d'avoir lu un seul auteur classique français à l'école secondaire, du moins pas un livre complet (je parle ici des lectures obligatoires, car en lectrice assidue je connaissais déjà Dumas, Molière, etc). On effleurait plutôt plusieurs oeuvres grâce à ces recueils d'extraits que je trouvais extrêmement frustrants (encore maintenant je ne peux approcher de George Sand sans me boucher le nez). J'ai souvenir d'une discussion presque hargneuse avec mon professeur de français de secondaire 3 au sujet de Cyrano de Bergerac... La célèbre tirade du nez s'interprète différemment si on la prend hors contexte, et encore aujourd'hui je suis convaincue que le prof en question n'avait jamais lu la pièce entière, ce qui m'avait mise hors de moi! Au CÉGEP il me semble bien avoir lu quelques classiques mais les titres m'échappent, à part L'Écume des jours de Vian et la poésie de Prévert que j'avais déjà découverts avec bonheur par mes propres moyens.

Ma plus belle expérience de lecture scolaire, ce fut en sixième année du primaire, lorsqu'un matin notre professeur nous lut à voix haute les premiers chapitres de Bilbo le Hobbit. Pour plusieurs enfants cela avait été la révélation que la lecture pouvait être autre chose qu'une corvée. Il nous avait ensuite invités à continuer par nous-mêmes le roman, sans aucune obligation. Durant la récréation du midi, les trois-quarts des élèves s'étaient rendus les uns après les autres à la librairie du quartier pour essayer d'en faire l'acquisition. J'avais découvert ce jour-là un de mes écrivains chouchous, mais surtout j'avais eu l'impression de participer à une sorte de communion presque mystique: moi dont le principal passe-temps était la lecture (ce qui dans le temps comme maintenant ne faisait pas de vous l'écolière la plus cool de la classe), j'avais pu partager ce plaisir avec tout un groupe.

Et vous, quelles ont été vos lectures scolaires les plus marquantes (en bien ou en mal), et quelles furent les grandes lacunes de votre éducation?

22 janvier 2010

The Enchantress of Florence

Mi-décembre, déambulant comme une âme en peine dans les allées de ma bibliothèque de quartier (j'étais allée emprunter Si c'est un homme pour le Blogoclub mais il avait mystérieusement disparu des étagères, et plusieurs autres titres qui m'auraient tentée brillaient également par leur absence), mon regard a été attiré par cette magnifique couverture, et je me suis souvenue vaguement avoir lu un billet élogieux chez Casanova.

Tout ce que je savais de Salman Rushdie, c'est qu'il avait fait l'objet d'une fatwa (menaces de morts de la part d'extrémistes musulmans) pour son roman Les Versets sataniques et que cela avait fait de lui un symbole de la liberté d'expression et même une icône populaire (il a fait de brèves apparitions dans divers films et séries télévisées). Dans ma tête, menaces de mort = sujet sérieux, remises en question philosophiques et idéologiques...

Quelle ne fut pas ma surprise de constater que ce roman est tout sauf noir ou aride, qu'on y retrouve au contraire une grande beauté, beaucoup d'humour et de fantaisie. Il s'agit en fait d'une sorte de conte pour adultes, avec des pirates, des géants albinos, un miroir magique et une femme aux pouvoirs mystérieux... mais aussi des personnages historiques comme Machiavel, Boticelli, les Médicis, Andrea Doria (fameux mercenaire et amiral génois) et surtout l'empereur moghol Akbar.

Faisant quelques recherches sur Salman Rushdie, j'ai découvert que son oeuvre faisait partie d'un mouvement littéraire appelé le «réalisme magique» (genre où des éléments surnaturels apparaissent dans un cadre historique et géographique réaliste). Nouvelle surprise, certains de mes auteurs favoris sont cités comme faisant partie de ce mouvement, notamment Gabriel Garcia Marquez, Isabel Allende, Italo Calvino, Michel Tournier et même Michel Tremblay! Il n'est donc pas étonnant que je me sois sentie aussi à l'aise chez Rushdie.

De plus, j'ai beaucoup apprécié son style d'écriture. Ses phrases sont très travaillées, je dirais presque ciselées, il faut lire lentement pour bien les savourer.


The Enchantress of Florence de Salman Rushdie, éditions Alfred A. Knopf Canada, 2008, 356 p. Titre de la version française: L'Enchanteresse de Florence.

08 janvier 2010

Une Vie française

Dans ce roman, à travers la vie de son personnage principal, Jean-Paul Dubois passe en revue les différentes étapes que la France a traversées de l'après-guerre à nos jours: l'immobilisme et la frustration des années 50-60, l'explosion en mai 68, les expériences sexuelles et le bouleversement des années 70, le matérialisme des années 80 et la centralisation de la gauche, la mondialisation et les scandales financiers des années 90 (on voit que rien n'a changé...), la peur du terrorisme dans les années 2000..., chaque chapitre portant le nom du Président de la République au pouvoir durant la période couverte.

Peut-être parce que je ne suis vraiment pas ferrée en Histoire française contemporaine (et ce livre m'a fait réaliser à quel point, car plusieurs évènements évoqués ne me disaient rien), peut-être parce que le personnage principal, détaché de tout et de tous, qui s'isole volontairement et se laisse voguer au gré des péripéties de sa vie, ne m'a pas touchée, ce roman m'a semblé un peu décousu (presque autant que cette phrase) et me laisse perplexe en bout de ligne. Je comprends bien que l'auteur a voulu nous dire quelque chose sur son pays, mais l'étrange fin est venue embrouiller le message, en tous cas dans mon cas... Je ne dis pas que c'est mauvais, certains passages sont très réussis (le voyage autour du monde pour photographier des arbres, la relation avec la mère), mais l'ensemble est inégal.

Après un premier rendez-vous réussi (Vous plaisantez, monsieur Tanner, dans un style beaucoup plus léger), cette deuxième rencontre m'a malheureusement un peu ennuyée et je ne suis pas sûre qu'il y en aura une troisième, même si je reconnais à M. Dubois des qualités d'écriture indéniables.


Les billets de Jules (qui a aimé l'écriture et l'aspect presque biographique du roman), de Sylvie (qui contrairement à moi s'est identifiée aux personnages), de Cécile (qui a trouvé que les défauts du personnage le rendaient attachant), de Cryssilda (qui s'est sentie vraiment française!), de Clarinette (qui compare Dubois à John Irving!), de Pascal (qui l'a trouvé fort et lucide, tendre et émouvant)... Décidément, je suis la seule à ne pas avoir été emballée!


Une Vie française de Jean-Paul Dubois, Éditions de l'Olivier/Le Seuil, 2004, 357 p.

04 janvier 2010

Si c'est un homme

Vu son sujet, les mémoires d'un prisonnier italien juif survivant d'Auschwitz, je pensais que ce livre serait une lecture très pénible. Mais heureusement, Levi nous raconte la vie au camp de concentration d'une façon très factuelle, presque scientifique, avec parfois même une touche d'humour. Et la curiosité scientifique se joint à la compassion qu'on ressent pour ces pauvres êtres, car le camp devient un extraordinaire laboratoire d'étude de la nature humaine (je sais que cela a l'air terriblement froid et cynique de dire cela, mais c'est Levi qui le dit, c'est pourquoi je me permets de le répéter). De plus, on sent qu'il a avant tout voulu porter un témoignage, et non inspirer la pitié ou attiser la haine.

Naïvement, je croyais que les opprimés auraient naturellement tendance à s'allier contre l'oppresseur. Mais non, il semble que lorsque cela devient une question de survie, l'instinct prend le dessus, sauf exception c'est vraiment chacun pour soi et les notions mêmes de Bien et de Mal n'ont plus de sens. Il s'installe entre les prisonniers une étrange hiérarchie basée sur la date d'arrivée, la nationalité (des informations que les prisonniers savent décoder des matricules tatoués sur leur avant-bras!) et les chances de survie (aptitudes physiques, ruse, connaissance d'un métier utile aux Allemands), et le vol devient si courant qu'il faut garder sur soi toutes ses maigres possessions (gamelle, cuiller, ses souliers la nuit, etc). Dans ce contexte, une simple conversation entre deux prisonniers sur la poésie de Dante devient presque surréaliste et fait office de bouée de sauvetage dans ce monde déshumanisant. Et l'éclosion d'une amitié dans cet enfer prend l'allure d'une victoire de l'Humanité.

Un passage marquant:

«Depuis ce jour-là, j'ai pensé bien des fois et de bien des façons au Doktor Pannwitz. (...) Car son regard ne fut pas celui d'un homme à un autre homme; et si je pouvais expliquer à fond la nature de ce regard, échangé comme à travers la vitre d'un aquarium entre deux êtres appartenant à deux mondes différents, j'aurais expliqué du même coup l'essence de la grande folie du Troisième Reich. (p.113)

Je l'avoue, je ne lis pas toujours les appendices et autres postfaces, mais celui inséré dans cette édition Pocket est vraiment intéressant. Levi y répond aux questions qu'on lui posait le plus souvent lors de ses conférences: êtes-vous retournés à Auschwitz après la guerre, pourquoi les prisonniers ne se rebellaient-ils pas, éprouvez-vous de la haine pour le peuple allemand, etc.


En complément de programme, j'ai lu la très intéressante plaquette d'une soixantaine de pages Conversations avec Primo Levi de l'écrivain italien Ferdinando Camon. Ces entretiens sont regroupés par thèmes (l'Allemagne, le judaïsme, Israël, les camps de concentrations russes, etc) et apportent des réflexions passionnantes sur ces sujets.


Pour les billets des autres membres du club de lecture, suivez les liens chez l'une de nos deux chouettes organisatrices, Sylire.

Si c'est un homme de Primo Levi, traduit de l'italien, éditions Julliard (Pocket), 1987, 214 p. La version originale, Se questo è un uomo, date de 1958.
Conversations avec Primo Levi de Ferdinando Camon, traduit de l'italien, Gallimard, 1991, 68 p. La version originale, Conversazione con Primo Levi, date de 1987.