01 mai 2020

Le Monde d'hier

On présente généralement ce livre comme une autobiographie de Zweig...  Or, ce n'en est pas vraiment une, puisqu'il parle surtout des grands événements qui ont marqué la première moitié du XXe siècle, de l'impact qu'ils ont eu sur la société, sur sa propre vie et sur son œuvre.

J'avoue que les premiers chapitres ne m'ont pas passionnée.  Après une jolie description de la ville de Vienne à la fin du XIXe siècle, il nous livre sa perception du système d'éducation autrichien, du primaire à l'université, et de l'évolution des relations entre les jeunes gens et jeunes filles.  Ce n'est pas inintéressant, mais comme bien sûr la situation a continué d'évoluer par la suite, ces idées sont à prendre avec un grain de sel.

C'est lorsqu'il aborde le début de l'âge adulte, ses voyages, ses premiers succès littéraires, que ça devient vraiment passionnant.  J'ai adoré l'atmosphère de l'Europe d'avant la Première Guerre mondiale.  Les gens parlaient plusieurs langues, on passait d'un pays à l'autre sans restriction, la culture avait une grande importance.  Ça m'a rappelé de bons souvenirs de Proust, notamment!  Je crois que j'aurais aimé vivre à cette époque (à condition d'être née dans une famille bourgeoise, hein, parce que travailler dans une mine ou en usine, dans ces années-là, bof, quoi!)

Il y aura ensuite des moments vraiment tragiques, d'autres plus légers, d'autres étranges (par exemple la folie de spéculation après la guerre, complètement foldingue!).  J'ai particulièrement aimé les passages où il narre ses rencontres avec des artistes et intellectuels célèbres: Freud, Rilke, H.G.Wells et bien d'autres.  Il a notamment pu observer Rodin au travail dans son atelier, vous imaginez?

Par contre, les lecteurs qui espèrent trouver dans ce livre des détails intimes ou croustillants sur Zweig seront cruellement déçus.  Il parle tellement peu de sa vie privée que c'est seulement grâce aux notes qu'on apprend à quelle époque il s'est marié, et lorsqu'il mentionne finalement sa femme, c'est au sujet d'un commentaire qu'elle lui a fait sur son travail!  D'ailleurs cela me fait penser que j'ai beaucoup aimé également les quelques pages où il décrit sa méthode d'écriture pour ses biographies, c'est fascinant:  il écrit un premier jet où sont rassemblées toutes les données récoltées durant ses recherches, toujours des plus minutieuses; puis il réécrit et réécrit encore en coupant, élaguant, concentrant le plus possible.  D'un premier manuscrit de deux mille pages, il n'en reste que deux cents à la fin!  Car il n'y a rien qui lui pue au nez autant qu'un biographe qui écrit pour mettre en valeur l'étendue de son savoir par des énumérations et descriptions interminables.  Il a même suggéré à un éditeur de publier des versions abrégées des grands classiques en enlevant toutes les digressions!  Voilà qui me donnera des munitions la prochaine fois qu'on m'accusera de lèse-majesté pour avoir sauté des bouts des Misérables et de Guerre et Paix!

Un mot enfin sur la traduction.  J'ai lu la plus récente, celle de Serge Niemetz (1993).  Je l'ai trouvée correcte dans l'ensemble, mais j'ai trébuché à l'occasion sur quelques phrases boiteuses.  Si vous avez lu l'ancienne, celle de Jean-Paul Zimmermann, je serais curieuse de savoir ce que vous en avez pensé. 


Le Monde d'hier de Stefan Zweig, traduit de l'allemand (Autriche), 1942, 592 p.  Titre original: Die Welt von Gestern.

12 commentaires:

  1. Je guettais ton avis sur ce livre :)
    C'est bon à savoir qu'il ne s'agit pas tellement d'une autobiographie... mais finalement sa vision des événements de l'époque m'intéresse presque davantage ! Tout comme sa façon de travailler que je trouve très intéressante.
    Je me le note (même si je garde en priorité "Marie-Antoinette" sur ma wish-list).

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    1. Oui, une fois compris qu'on n'allait pas apprendre ce qu'il mangeait au petit déjeuner, ça m'allait très bien et c'est vraiment passionnant!

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  2. Je garde de cette lecture un merveilleux souvenir. Tu as raison, le terme "autobiographie" induit en erreur. Je n'ai pas souvenir (ni mentionné dans mon horrible billet d'époque) d'une traduction problématique (bien que mon édition soit plus vieille que la tienne, c'est bien le même trad). C'est, à mon sens, un témoignage plus qu'une autobio et un témoignage d'autant plus passionnant que l'époque l'était et que le narrateur est un prodigieux écrivain.
    Bon week-end !

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    1. Un témoignage, le terme est juste, surtout qu'on sent bien que son récit est subjectif, c'est sa perception des événements, bien des années plus tard dans certains cas.

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  3. ça donne envie de le lire d'autant que j'apprécie ses fictions
    à prendre avec un grain de sel : je comprends le sens mais saurais-tu l'origine de cette expression qui m'est inconnue ?

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    1. J'ai fait une petite recherche, il semble que cette expression vienne du latin cum grano salis. Je te mets le lien, c'est intéressant:
      https://www.btb.termiumplus.gc.ca/tpv2guides/guides/chroniq/index-fra.html?lang=fra&lettr=indx_titls&page=9Am92FVvGFZo.html
      On utilise souvent cette expression au Québec pour dire «ne pas prendre trop au sérieux, ne pas prendre au pied de la lettre». Elle semble plus rare de votre côté de l'Atlantique!

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  4. Bien que grand amateur de Zweig, je n'ai encore jamais lu un de ses essais ou biographies....

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    1. En biographie j'ai adoré son Marie-Antoinette, je te le recommande! Ça se lit comme un roman.

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  5. Génial! C'est super intéressant. En effet, ce que tu décris donne une certaine nostalgie de cette époque! :)

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    1. Je te le recommande, surtout que je me souviens que tu apprécies la plume de Zweig!

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  6. J'ai TELLEMENT aimé ce récit. Sa vision de l'Europe est passionnante. Bon, il ne se prend pas pour de la m... mais quand même!

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    1. Hihi oui, en effet, il se donne le beau rôle, je me suis demandé s'il exagérait un peu... Mais ça reste très beau de toutes façons.

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